Katie Tippel
7.5
Katie Tippel

Film de Paul Verhoeven (1975)

Pour qui reprend à rebours la filmographie de Verhoeven, il est impressionnant de constater à quel point sa période hollandaise contient déjà toutes les thématiques qui feront ses meilleurs films. Les parallèles sont en effet nombreux entre Katie Tippel et Black Book, dans lesquels on propose un portrait de femme dans une période trouble, à la merci de la société et surtout des hommes qui y règnent. Reprenant le duo de Turkish Délices tourné deux ans plus tôt, Verhoeven en inverse le déséquilibre au profit de Monique van de Ven, tandis que Rutger Hauer n’occupera que la dernière partie d’un récit historique se concentrant sur l’arrivée des migrants à Amsterdam dans les années 1880.


On retrouve dès le départ ce sens unique de la fluidité propre au réalisateur : mouvement dans le bateau qu’on croirait sorti d’un métrage de Tarkosvski, gestion du collectif (notamment dans la cadence du travail des lavandières ou les prises de vue sur les salles de restaurant), c’est avec une virtuosité assez fastueuse que le metteur en scène place sa reconstitution. Mais se contenter du vernis de l’Histoire et des tableaux officiels n’est évidemment pas dans ses habitudes. Verhoeven ne salue aveuglement le prestige d’une époque, il en dénonce les coulisses et les fait résonner avec des problématiques intemporelles. Dès le départ, la double destinée de la femme se joue entre les deux sœurs : la pute ou la résistante. Et c’est dans la rusticité du trivial que se joue la complémentarité du regard : une verge turgescente en ombre chinoise venue interrompre des jeux enfantins, un miroir au plafond, un Jules Verne en guise de papier toilette. Comme toujours, le cinéaste aime d’autant plus ses personnages qu’il les malmène, et Monique van de Ven se voit souillée comme le sera plus tard Carice van Houten dans Black Book.


Muse et corps, esprit et volonté, Katie est une trajectoire tourmentée, le révélateur d’un monde âpre et violent dans lequel on brûle ses sabots pour se chauffer et où seule la corruption morale semble être salvatrice. S’il restitue une ascension sociale, c’est aussi pour en dépeindre les stigmates, la nouvelle bourgeoise ne pouvant se défaire des souillures occasionnées par ses premiers pas dans le monde.


Sans concession, mais plein d’admiration, Verhoeven sait ici parfaitement tisser l’équilibre fragile du regard sur la violence sociale et l’héroïsme ordinaire qu’elle peut générer.


http://www.senscritique.com/liste/Cycle_Paul_Verhoeven/1018027

Sergent_Pepper
8
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le 16 sept. 2015

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Sergent_Pepper

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