L'une de mes (nombreuses) théories sur la cinéphilie, c'est qu'il existe des moyens scientifiques de déterminer si quelqu'un est un vrai cinéphile ou simplement un amateur, comme par exemple de voir ses réactions aux derniers films de Brian De Palma... ou, sans doute encore plus décisif, son enthousiasme (ou absence de...) devant un film de Friedkin, quand même l'un des réalisateurs les plus splendidement déviants que Hollywood nous ait jamais donnés. "Killer Joe" cumule a priori toutes les tares qui font qu'on hait un film : un scénario prévisible d'arnaque parmi des attardés mentaux caricaturaux - disons la veine la plus critiquable des Frères Coen -, de longues scènes de "théâtre filmé" qui trahissent l'origine du scénario, des acteurs en roue libre qui sont plus dans l'excès que dans la maîtrise, et, pire encore sans doute, des provocations en tout genre dignes d'une série Z (pédophilie, gore, vomis, etc. etc.). Mais comme on est chez Friedkin, tout cela fonctionne en dépit du bon sens, et atteint même lors d'un finale hallucinant une puissance quasi métaphysique, qui fera se lever de son siège le "véritable cinéphile", enthousiasmé par les sensations extrêmes que ce p... de film génère en lui. Tressons néanmoins aussi des lauriers à Matthew McConaughey, encore une fois éblouissant en psychopathe complètement dans la maîtrise et la pondération : il est pour beaucoup dans la belle réussite qu'est ce "Killer Joe" aussi jouissif que profondément dérangeant (la scène de la fellation sur une cuisse de poulet KFC mérite de rester dans les annales !). Friedkin avait 78 ans quand il réalisait ce film peu ordinaire, souhaitons-lui la même longévité que Manoel de Olivieira ! [Critique écrite en 2017]