Cette critique n'a pas pour prétention de livrer une analyse sur le film, mais plutôt d'en retranscrire le récit en soulignant les aspects intéressants de l'intrigue. Ayant vu cette oeuvre très jeune, je peine à prendre le recul nécessaire sur ce film qui fut une expérience totale en salle (j'avais 12 ans quand j'ai vu le film). C'est donc une critique 100% spoiler à lire uniquement si vous avez vu le film, afin de mettre le doigt sur les aspects qui font la valeur de l'oeuvre en question, tout en retraçant le voyage vers Skull Island à la manière d'un carnet de route.


PROLOGUE


Tout commence en 1980, lorsqu’à l’âge de 9 ans, le jeune Jackson découvre le film d’Ernest B. Shoedsack et Merian C.Cooper à la télévision Néo-Zélandaise. Cette expérience fait naître en lui une vocation de cinéaste, si bien que quelques années plus tard, il entreprend de récréer la célèbre scène finale dans son jardin avec des moyens à sa hauteur : une maquette de l’Empire State Building et une petite figurine de Kong auquel il donne l’illusion du mouvement grâce à la technique de la stop-motion.


Admirateur de Ray Harryhausen, il réalise par la suite de nombreux films à effets, et se spécialise dans le gore outrancier et parodique avec « Bad Taste » en 1987, ou encore Braindead en 1992 ( qui introduit notamment un petit ressortissant de l’île du crâne, un singe rat de Sumatra…). Au menu, cervelle servie à la petite cuillère et ses litrons d’hémoglobines d’un mauvais goût certain.


Déjà, le jeune réalisateur montre un penchant pour le traitement démesuré de l’action et propose une mise en scène d’ampleur qui donnera à ses histoires futures la dimension monumentale qu’on leur connaît.


En 1993, il s’associe à Richard Taylor, un mordu d’effets spéciaux qui sera son acolyte sur ses projets à venir. Ensemble, ils fondent le département Weta-digital dédié aux effets-spéciaux numériques.


Il s’essaye ensuite avec succès au drame intimiste avec « Créatures célestes » en 1992, et opère un retour au film de genre en 1996 avec « Fantômes contre Fantômes », c’est alors qu’il se voit offrir plusieurs projets d’envergure comme « Le seigneur des anneaux » et « King Kong ». Mais la convergence monstrueuse qui s’annonce dans les cinémas de l’époque avec le remake américain de « Godzilla » et le portrait de singe « Mon ami Joe » le destine à la première option. Cependant, le projet n’est que retardé et après avoir raflé 17 oscars pour sa trilogie Tolkienniesque, il revient à son amour de jeunesse et tourne ENFIN le film de ses rêves.


Kong, la huitième merveille du monde, est exposé pour la troisième fois de l’histoire au grand public en 2005 et s’annonce comme une relecture à la fois spectaculaire et sensible du gorille le plus célèbre de l’histoire du cinéma.


ACTE I


Le rideau s’ouvre sur des plans de singes captifs dans le zoo de New-York, un début prémonitoire pour qui connaît un temps soit peu l’histoire initiale. Mais qu’importe, Jackson joue déjà avec son matériau de base et n’aura de cesse de le retravailler jusqu’à son dernier plan.


Décor planté, on assiste à une visite de la ville à l’époque de la Grande Dépression, véritable fourmilière en pleine extension. La séquence est montée sur une rengaine de music-hall qui rappelle les fameux spectacles de Broadway. Ça tombe bien, on y est ! A la place des spectateurs dans la salle, on découvre Ann Darrow, jeune comédienne qui tente de subsister en sur-jouant des rôles comiques qui n’ont décidément plus prise sur le public : c’est bien la fin d’une époque et la transition se fera par le cinéma ou ne se fera pas. Dans ces circonstances, le théâtre dans lequel travaille la protagoniste finit par fermer ses portes, poussant la jeune femme vers le monde extérieur.


Livrée à elle-même dans une ville où l’individu n’est rien sans le feu des projecteurs, sa silhouette gracieuse et son visage angélique apparaissent vite comme son seul outil de survie. Mais sa figure vulnérable et son aura naturel attirent l’entreprenant Carl Denham, cinéaste décadent qui cherche à remplacer la vedette de son prochain film d’aventure. Poursuivi par ses producteurs qui menacent de couper les fonds , il propose à la citadine d’embarquer sur le champ pour Singapour, son principal lieu de tournage.


Eblouie par le prestige apparent du projet et la présence d’un illustre scénariste, elle accepte le contrat et monte à bord du Venture, un vieux rafiot cosmopolite où s’active un équipage de marins endurcis et dévoués à leur capitaine, l’homme d’expérience Englehorn.


Après un départ précipité de la baie de San Francisco, la jeune femme est présentée à son partenaire Bruce Baxter, beau gosse au sourire clinquant et au caractère méprisable, ainsi qu’au reste de l’équipe, de modestes techniciens dont la présence est uniquement due à leur fidélité envers le metteur en scène. Elle rencontre enfin le scénariste Jack Driscoll, et comme avec le reste de la production, la confrontation avec ce personnage tant fantasmé a le goût de la désillusion pour l’actrice qui découvre un homme ordinaire et maladroit, symbole d’un milieu cinématographique fauché et désenchanté.


Le tournage dévoile peu à peu son scénario pourvu de dialogues machos qui relèguent la seule femme à bord à un objet encombrant. Pourtant, au fil de la traversée, des liens se tissent entre les passagers et l’actrice touche la grâce face à l’objectif de la caméra, sous le regard envoûté de Carl et de son équipe. Clou de cette séquence, la passion amoureuse de Jack et Ann qui éclate au grand jour, imposant définitivement la jeune femme comme une personne qui compte aux yeux de tous.


C’est lors d’une séance d’écriture que le réalisateur révèle à son scénariste l’existence d’une île mystérieuse. Pour Denham, ce morceau de terre perdu dans le Pacifique constitue la clé d’une possible renaissance, et des prises de vue dans un lieu inconnu et portant les vestiges d’une civilisation disparue lui permettrait d’inscrire son nom en lettres d’or sur les théâtres de Broadway. Le mot SKULL ISLAND, prononcé du bout des lèvres par Driscoll alors qu’il tape à la machine, tombe dans l’oreille de Jimmy, le cadet de l’équipage, engendrant une rumeur qui bouleverse l’équilibre établi jusqu’alors dans ce lieu confiné.


Aidé par les dires superstitieux du cuisinier de bord Lumpy, la peur d’une île cauchemardesque grandit dans les consciences, faisant naître par la même un suspense bienvenu avant l’entrée en scène de l’île, perdue dans le brouillard.


ACTE II


L’arrivée sur l’Ile se fait dans l’agitation des eaux qui la bordent. Malmené par la houle et malgré les tentatives de son capitaine pour redresser la barre, le Venture vient se fracasser sur un pic rocheux. Déterminé à tourner son film, Denham et son équipe débarque à terre. Ils découvrent alors des ruines désertes qui laissent bientôt paraître leurs sinistres occupants : des indigènes aux corps rachitiques, établis sur un littoral aux maigres ressources et qui vivent reclus derrière un imposant mur d’enceinte. Jackson porte un coup à la figure fantasmé de l’autochtone de la version initiale et montre par la même que l’Homme n’a pas sa place dans cet endroit sauvage.
Ce qu’on va découvrir, c’est que l’édifice les préserve d’une bête monstrueuse vivant au centre de l’île, que ce peuple à la grandeur passée vénère désormais comme un Dieu.


Entre les américains fraichement débarqués et les indigènes restés à l’âge de pierre, il y a un gouffre que Denham se risque à franchir. Muni d’une barre chocolatée, il s’avance vers un enfant à l’apparence inoffensive. Piètre colonisateur, sa démarche est perçue comme une agression par le clan qui déferle bientôt sur les techniciens, provoquant la mort de l’un d’entre eux. Ann pousse un cri de terreur, auquel fait écho le maître des lieux. C’est à cet instant qu’intervient pour la première fois Englehorn, personnage dont le rôle dramatique consiste essentiellement à réparer les pots cassés laissés par Denham, en surgissant un peu à l’improviste dans les instants de détresses majeures. Pour parler autrement, c’est un peu la cavalerie qui débarque, un motif scénaristique récurrent à d’autres films du réalisateur, comme « Le Seigneur des Anneaux » ou « Le Hobbit ».


Retourné au bateau, l’équipage tente de lever l’ancre mais oublie dans son sillage la belle Ann, enlevée durant la nuit par les indigènes qui la portent en offrande au puissant Kong, un programme bien connu du grand public. L’apparition du monstre est à la hauteur des attentes des spectateurs des années 2000, qui découvrent pour la première fois le singe dans sa version numérique. Le résultat : une bête évidemment imposante mais plus noble d’aspect que ne l’étaient ses prédécesseurs. Néanmoins, Jackson prendra soin de ne dévoiler l’animal que par petite touches, préservant le suspense au maximum, à la manière des grands films de monstres d’Universal. Ann est enlevée et va donc rentrer progressivement dans l’intimité de son ravisseur au cours du deuxième acte du film, qui se détache clairement des films précédents, que ce soit en matière de bestiaire ou d’intensité dramatique.


Après l’enlèvement d’Ann, une compagnie d’hommes en armes est affrétée par Englehorn pour retrouver la captive. Denham et son équipe profite de l’escorte pour entreprendre des prises de vue au centre de l’île. Le passage de la porte du grand mur menant vers les terres intérieures sonne comme un coup de cymbale. C’est le début du voyage pour nos héros qui vont découvrir un monde sauvage, vierge de toute modernité, aux antipodes du Manhattan du début du film.
Jackson prolonge son goût pour les intrigues entrelacées en proposant au spectateur un parallèle quasi constant entre les cavalcades de la jeune femme et le groupe d’explorateurs lancés à la poursuite du grand singe. Les scènes de chaque groupe se font écho, et se déroulent presque en temps réel. Un choix de montage qui renforce directement le caractère urgent de la situation.


C’est ainsi qu’on a droit à une succession de scènes dantesques, tendance burlesque, donnant lieu à un festival de pirouettes en tout genre. Parmi les scènes retenues au montage pour la version cinéma, on assiste à une charge de brontosaures tiraillés à la croupe par une bande de raptors affamés, séquence qui débouche sur une bousculade écrasante entre les membres du troupeau, lancé à vive allure dans un couloir naturel de roches et de ravins escarpés.


Suite à cela, un affrontement a lieu entre Kong et trois représentants d’une sous-espèce de T-Rex, pour sauver la belle en détresse. Une scène qui s’apparente à un numéro de trapézistes, et dans laquelle les mâchoires claquantes et les crocs acérés des combattants s’entredéchirent pour s’emparer d’un morceau de choix.


Dernière péripétie dans cette jungle à l’écosystème capricieux, après un heurt avec le grand singe, l’équipe de secours atterrit dans les bas-fonds de l’île, sorte de décharge où pullulent des insectes aux proportions pantagruesques. Au sens propre comme au figuré, cet endroit marque un point de chute décisif pour Denham et son équipe. Le réalisateur y déplore la perte des pellicules des plans tournés sur l’île, tandis que Lumpy pleure la disparition d’un ami, et Jimmy, la mort de son mentor et bienfaiteur, le commandant en second du Venture, l’estimé Mr Hayes. Animé par la rage et n’ayant désormais plus rien à perdre, les survivants vont se dépasser dans une lutte désespérée pour tenter de repousser les abominations qui déferlent sur eux. Une scène dont le visuel cauchemardesque convoque les peurs les plus primaires de l’Humanité, celle des carcasses grouillantes, forme finale de toute existence.


L’effroyable rêve prend fin lorsque le capitaine Englehorn et le reste de l’équipage font pleuvoir les balles sur les nuées d’arachnides, sauvant les quelques rescapés d’une mort certaine. Tandis que Jack part retrouver Ann dans le repère de Kong, Denham convainc Englehorn de tendre un piège à la créature aux portes de l’île, en se servant d’Ann comme appât.
Dans sa caverne, parmi les restes des membres de son espèce, Kong contemple les territoires hostiles s’étendant en contrebas. A ses côtés, Ann prend conscience que l’animal est le dernier de sa lignée. Malgré ses efforts pour la divertir, la belle est désarmée face à la détresse de la bête, dont le visage marqué de cicatrices et le regard apathique révèle le profil d’un survivant aux prises avec une solitude profonde.


C’est dans le calme apparent de la nuit que Jack fait son apparition, et profite du sommeil de Kong pour arracher Ann aux bras du grand singe. Le couple parvient à s’enfuir, avec dans leur sillage, la bête folle de rage. De retour au mur d’enceinte, ils retrouvent Denham, aveuglé par le désir fou de tirer profit de l’animal lancé à leur poursuite. D’abord surpris par les filets tendus à son encontre, Kong trouve dans le regard de la belle la force nécessaire pour s’en dépêtrer. Il poursuit l’équipage jusqu’au rivage, jusqu’à ce que Denham parvienne finalement à lui projeter au visage une bouteille de chloroforme, faisant de l’animal sauvage un captif.


ACTE III


« Kong : la huitième merveille du monde », cette inscription gravée en lettres d’or sur l’enseigne d’un théâtre de Broadway donne à elle seule le ton de ce dernier acte. Kong est à présent une attraction, livrée en pâture à la bêtise humaine pour le seul profit de son désormais propriétaire : le mégalomane Carl Denham. Si le spectateur n’est pas dupe quant aux chances de survie du célèbre primate, il reste le traitement de l’action que va proposer Jackson dans cette relecture du classique de 1933.


Dans le théâtre dans lequel ont lieu les festivités, Denham prend un bain de foule et profite de la situation pour prendre la pose avec de vieux ennemis devant les photographes. Les producteurs jadis aux trousses du réalisateur lui mangent à présent dans les mains, faisant de lui leur nouvelle coqueluche.


Rien n’a changé à Manhattan depuis le départ du Venture, nous sommes à nouveau dans un théâtre, aux prises avec un public capricieux en mal de nouveauté. Denham ne tarde donc pas à monter sur l’estrade pour mettre en scène la capture du spécimen tant attendu, en arrangeant quelque peu les faits pour donner à son histoire l’ampleur des grands films d’aventures hollywoodiens. Baxter n’a plus le profil d’une mauviette comme il a pu le laisser paraître sur l’île du crâne, mais s’est transfiguré en une sorte d’Alan Quaterman déambulant au milieu d’indigènes aux parures exotiques, à la recherche d’une jeune new-yorkaise en détresse. Une romance poignante qui tourne vite au désastre lorsque le singe, auquel on offre à nouveau le visage d’une belle, brise ses chaînes et déploie sa force dévastatrice sur l’auditoire terrorisé.


Dans les rues de New-York, la bête cherche la belle. Cette dernière s’est vu offrir un pont d’or après son aventure sur l’île du crâne et une place de danseuse dans un illustre cabaret. Après que Driscoll a réussi un temps à divertir le grand singe du reste des citadins, Ann fait son apparition dans la nuit hivernale. Vêtue d’une robe blanche flottant au gré du vent, elle est comme un ange venu tempérer l’humeur agité de la bête en perte de repères.


Le couple reformé, le singe et sa protégée déambulent dans les quartiers résidentiels de Manhattan, avant de trouver refuge dans les étendues immaculées de Central Park. Jackson nous propose un ballet sur glace, où la musique de James Newton Howard fige les deux personnages dans un instant de partage absolu. Soudain pris sous le feu des canons de l’armée, Kong prend la fuite et se dirige évidemment vers le point le plus haut de la ville. Il s’agit à l’époque de l’Empire State Building.


Perchés en haut du gratte ciel, Kong et Ann assistent au lever du soleil sur la ville. Une scène analogue à celle du coucher de soleil dans le repère du primate sur l’île du crâne, où le langage des gestes avait permis aux deux personnages d’échanger une émotion simple, mais d’une grande pureté. C’est là que se fixe Jackson, qu’il s’agisse de la violence animale de Skull Island ou du monstre d’urbanisme qu’est New York, le cocon de tendresse dans lequel se cristallisent ces deux êtres est une manière pour eux d’échapper aux affres de leur existence respective le temps d’un instant. Une sorte de victoire sur le reste du Monde, le temps pour Ann et Kong de retrouver des forces, avant de reprendre la lutte éternelle pour la survie.

Arthurtonglet
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le 19 janv. 2021

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Arthur Tonglet

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