Je n'ai pas l'habitude de quitter un film en pleine séance. Et pour un type comme moi qui a été voir près de 2500 films dans une salle obscure rien que ces dix dernières années, je peux vous assurer qu'il me faut une excellente raison pour lâcher l'affaire. Cela m'était déjà arrivé pour Tideland de Terry Gilliam, et... c'est tout. Même pour des bouses intergalactiques comme Nothing ou The Spirit, j'avais réussi à tenir jusqu'au bout.


Knight of Cups, lui, m'a fait tenir quarante minutes. Il faut dire que j'avais déjà envie de me barrer au bout de vingt. Et puis, je me suis dit : "Bon, allons, c'est peut-être comme Tree of Life, un long moment à passer d'expérimentations sur la grammaire cinématographique, et ensuite on basculera sur une remise en question ou une application de cette remise en question. On va attendre cinq minutes pour voir". Cinq minutes, puis toujours aucun changement. Cinq minutes encore, puis toujours rien. Au bout de quarante, la coupe était pleine. Au moment où Rick s'engueule avec son père, j'ai pris mes cliques et mes claques.


Alors, bien sûr, la question est : "Pourquoi ?".


Déjà et avant tout, sachez que je n'ai rien contre le cinéma expérimental. Cependant, j'ai tout contre le cinéma qui ne s'intéresse qu'aux essais sans l'appliquer à un système narratif cohérent et décent ; que j'ai tout contre le cinéma anti-fictionnel, ce pour quoi je déteste la Nouvelle Vague. Pour moi, et bien sûr cela reste un point de vue, le cinéma expérimental doit servir une narration, et non l'asservir. Prenez Stanley Kubrick et ses dix minutes de traversée spatiale en plein 2001, l'Odyssée de l'espace, ou encore George Lucas qui s'est inspiré des travaux de Jordan Belson pour agencer ses Star Wars. Là, on est en plein dans un cinéma fictionnel qui se sert du cinéma expérimental pour servir sa narration, éclatée ou non ; là, j'accroche. Mais quand un réalisateur comme Terrence Malick te sert pendant quarante minutes (et je ne doute pas que la suite soit du même acabit) le même plat, sans aucun changement de tonalité, on entre dans tout ce que je déteste chez lui : la paresse. Car Malick, s'il est un prodigieux concepteur de plans d'une beauté spectaculaire à qui il sait donner une profondeur poétique quasi-inégalée (cf. Le Nouveau Monde et son introduction mémorable de l'Homme au coeur de la Nature), c'est également un cinéaste incapable de raconter une histoire en lui inculquant ce qu'il faut de rythme et de mystère, au point, disons-le franchement, de devenir vraiment chiant. Le type idéal pour endormir vos enfants en lieu et place du marchand de sable. Or, dans Knight of Cups, se taper quarante minutes la même idée de mise en scène étirée à l'infini, au bout d'un moment, j'ai juste l'impression d'observer un kaléidoscope des heures durant.


Cette mise en scène, qu'en est-elle ? Et bien c'est simple : un refus du dialogue entre les personnages, une voix extra-diégétique omniprésente, une caméra portée qui ne cesse d'être dans le mouvement. Et c'est tout. Au bout d'un moment, t'as juste envie d'attraper Malick par les oreilles et de lui gueuler : "ET LES TRÉPIEDS BORDEL, C'EST POUR LES CHIENS PEUT-ÊTRE ?!". Alors oui, vous allez me dire que le mouvement sert le "récit" (si on peut appeler ça "récit"), que c'est la beauté du geste, l'intelligence de plonger le personnage de Christian Bale dans un tourbillon de tourmentes lui qui se cherche, blablabla. Merci, moi aussi j'ai fait des études de cinéma, je sais analyser une mise en scène. Mais, pour reprendre mes exemples précédents, pensez-vous tenir 156 minutes si le film n'était fait que de cette traversée spatiale dans 2001 ? Pensez-vous que Star Wars, épisode IV : Un nouvel espoir soit le film qu'il est devenu si vous n'aviez pendant 121 minutes que des formes géométriques se croisant dans l'espace entrecoupées par-ci par-là de rayons laser traversant l'écran ? Permettez-moi d'en douter. Et c'est le même problème qui se pose avec Knight of Cups, dans la mesure où je n'ai vu pendant quarante minutes qu'une seule et même idée exploitée jusqu'à plus soif. Bah moi, au bout d'un moment, j'ai soif. Soif d'idées qui s'entrechoquent, soif de surprises, soif d'inattendus. Or, avec ce Malick, les cinq premières minutes résument les trente-cinq qui suivent : c'est beau, magnifique même, avec des acteurs hypnotisants, mais c'est chiant. Horriblement chiant.


Non, vraiment, Terrence Malick, ce n'est pas fait pour moi. Je préfère m'en retourner à des films comme Cashback ou Eternal Sunshine of the Spotless Mind : j'aurai ma dose de beauté et de poésie sans avoir l'oppressante envie de ronfler.

Kelemvor

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