Une question se pose au moment où les lumières de la salle se rallument : est-ce que c'est une histoire vraie ? La façon de filmer de Jean-Pierre Melville est si respectueuse de son sujet qu'on pourrait presque l'associer à un témoignage...
Bien que le réalisateur s'autorise plusieurs effets, la simplicité de la mise en scène évoque le neoréalisme italien. En effet, la caméra agit à plusieurs reprises comme un témoin. Lorsque, par exemple, les personnages principaux arrivent dans un lieu, elle panote pour suivre jusqu'à leur entrée dans un bâtiment, comme un passant le ferait dans la rue. En outre, lors des passages violents, la caméra a l'habitude de reculer pour cadrer les personnages en pied, comme si elle souhaitait rendre compte de la situation avec le plus d'objectivité possible. Il arrive que quelques gros plans se glissent dans le montage, mais ils ne servent pas à appuyer la dureté de l'acte ou l'émotion des personnages. Ils ne font que montrer l'état d'esprit des assassins, de la résignation mêlée à une certaine solennité.
Cet état d'esprit dictera le ton général du film. Les personnages, face à la gravité de la situation politique, s'effacent et deviennent des ombres calmes et réfléchies. Ils espacent souvent leurs discussions de longs silences, qui leur laisse le loisir de réfléchir et d'écouter le bruit d'une horloge ou celui du vent. L'Armée des ombres n'est pas un film très bavard. Chaque question, chaque affirmation a son importance et résonne dans la tête du spectateur. Du point de vue de l'image, cette ambiance se traduit par des décors sales et humides, éclairé par des ampoules diffusant une lumière faible, en arc de cercle, laissant une bonne partie de la pièce dans l'ombre. Cette imagerie peut paraître clichée décrite ainsi, mais Melville s'arrange toujours pour ne pas trop en faire, et la dureté de l'histoire passe avec beaucoup de douceur.
L'Armée des ombres présente donc de nombreuses qualités qui donnent forme à une expérience globale puissante : le film est très long, très dense et très elliptique, ce qui donne l'impression, quand le générique arrive, d'avoir vécu toute la guerre. Pas étonnant que tout le monde ait retenu ce Melville.