ATTENTION SPOILER
Ce film de 1997 est construit avec une inclusion (la première scène et la dernière sont filmées dans le même lieu: un tribunal de Floride, et dans la même situation: l'avocat Kevin Lomax défend un prof accusé de pédophilie). Tout ce qui se déroule entre les deux scènes peut être considéré au choix comme un rêve (un cauchemar) ou un itinéraire initiatique de Kevin Lomax, le protagoniste au centre de la narration, ou peut-être encore les deux à la fois.
Il est beau, jeune et brillant: il s'agit de l'avocat Kevin Lomax qui travaille en Floride où il vit avec sa charmante femme Mary Ann, sans enfant. Il a perdu son père très jeune et sa mère est une fervente chrétienne évangélique qui cite la Bible en permanence, en particulier l'Apocalypse prédisant la chute de la Cité pervertie, Babylone, ou encore dans une assemblée de l'Eglise on la voit chanter en chœur avec les autres fidèles un verset de l'épître aux Romains concernant la victoire des chrétiens sur le démon. Le décor est posé. Surgit alors un émissaire venu de New York (ne serait-ce pas la nouvelle Babylone?) chargé par un très grand et très puissant cabinet d'avocats de recruter le jeune Kevin. A partir de l'instant où le couple accepte cette proposition tout va basculer progressivement... L'installation à NYC transporte le couple sur un nuage: superbe appartement de luxe avec vue sur Central Park payé par l'employeur, l'argent coule à flot etc. Lorsque Kevin rencontre son employeur, John Milton (cf. l'auteur du Paradis perdu...), sur la terrasse d'un gratte-ciel, celui-ci lui fait comprendre qu'il domine réellement cette ville, un peu comme dans le film Jésus de Montréal (Denys Arcand), un brillant avocat fait comprendre du haut d'une tour au jeune acteur Daniel qui joue le rôle de Jésus dans la Passion qu'il ne tient qu'à lui de devenir riche, puissant et célèbre. Mais c'est en descendant dans les bas fonds sordides de New York que Kevin va gagner son premier procès en faisant acquitter un noir pratiquant la sorcellerie (et sacrifiant des animaux dans ce but) en invoquant le droit à la liberté religieuse... De plus en plus pris par son travail, Kevin délaisse sa femme qui se retrouve isolée, même lorsqu'il participe avec elle à une fête mondaine. Celle-ci va alors commencer une descente aux enfers, même si au tout début, Kevin lui laisse le choix de quitter NYC et qu'elle insiste pour y rester. Elle découvre avec effroi sa stérilité (le thème de l'enfant est capital pour comprendre le film et il est essentiel que Mary Ann ne puisse pas avoir d'enfants). Sa vie dans un cadre de luxe et de richesse oscille entre des sorties avec des "copines" issues du milieu du cabinet d'avocats au cours desquelles on lui propose d'acheter une robe à 3000 dollars, de la porter une seule fois et de la jeter ensuite à la poubelle, et des "hallucinations" (au cours de la scène du shopping le visage de sa "copine" et voisine de palier noire devient celui d'un film d'horreur). Une scène est particulièrement suggestive lorsque Mary Ann, qui aime le vert, essaie les différents verts pour les murs de son appartement en présence de la même voisine noire qui finit par lui faire renoncer au vert, démontrant par là sa domination sur elle. Pendant ce temps Kevin hérite d'un très grand procès, celui de Cullen, un très riche client du cabinet, accusé d’avoir tué trois personnes dont sa femme. Ici encore les rencontres entre Kevin et Cullen se déroulent aux sommets de gratte-ciel (soit sur un chantier de construction, soit dans un appartement dégoulinant de richesse et de luxe tape à l’œil, l'illustration parfaite de l'étalage ostentatoire de sa fortune personnelle). Nous sommes dans l'univers de ceux qui dominent et regardent tout depuis la hauteur de leur réussite sociale et professionnelle. John Milton, évoquant la santé fragile de sa femme, propose, habilement, à Kevin de lui retirer la charge de ce grand procès pour qu'il s'occupe en priorité de sa femme... Celui-ci refuse et nous entrons alors dans la deuxième partie du film, juste avant l’explosion finale qui nous révélera l'identité réelle de Milton et de Lomax, et donc leur lien de filiation... Bien qu'ayant de sérieux doutes sur l'innocence de Cullen, Kevin décide toutefois de le défendre et parviendra à le faire acquitter avec une plaidoirie brillante et subtile (mon client n'est pas aimable, mais il s'agit ici seulement de savoir s'il est coupable ou pas). Pendant ce temps Mary Ann s'enfonce dans ses 'hallucinations" découvrant de nuit dans son appart un bébé jouant avec des morceaux de chairs ou de viande... Jusqu'au moment où elle se réfugie dans une église après avoir été violée et mutilée par Milton... qui se trouvait au même moment au tribunal pour le procès de Cullen. Son mari en déduit que seul l'hôpital psychiatrique pourra sauver sa femme... Et là, après une ultime hallucination, elle finit par se suicider. Quelques indices au cours du film nous montrent que Milton possède des pouvoirs surnaturels (la scène dans le métro, la mort de son bras droit Eddie Barzoon). La rencontre entre Milton et la mère de Kevin dans le hall de leur immeuble est un moment qui fait froid dans le dos et dont on ne comprend l'impact émotionnel qu'à la fin... La scène du dénouement se déroule dans le bureau de Milton, et là, après avoir fait le procès de Dieu, il se révèle indirectement à la fois comme une incarnation du Prince de ce monde, Satan, et le... père de Kevin. Depuis le début Kevin a été manipulé pour qu'il puisse donner une descendance à Milton, non pas avec sa femme, mais avec sa demi-sœur, splendide créature qui s'offre à lui, toute nue, dans le bureau... Pour échapper à la tentation, Kevin fait un choix radical... qui précipite Milton dans les flammes infernales (échec de son plan) et ramène le jeune avocat en Floride au moment du procès. Ce film reprend le thème classique de la vente de son âme au diable en échange d'avantages matériels (ici gagner tous les procès que l'on plaide). A part que Kevin Lomax vend son âme au diable (Milton) sans le savoir... et sans savoir que le diable c'est son père! C'est aussi un film sur le libre-arbitre, car Milton, faussement conciliateur, fait sembler de préférer la santé de Mary Ann et demande à Kevin de renoncer à ce procès... Ce qu'il ne fera pas à cause de sa vanité. Satan/Milton ne cesse d'affirmer que la vanité humaine est son allié le plus puissant pour détourner les hommes du droit chemin. Mais la traduction française de vanité n'est pas exacte, il vaudrait mieux parler du péché capital d'orgueil: orgueil de la réussite, orgueil de la richesse (cf. 1 Jean 2, 15-17). L'oeuvre démoniaque de Milton, rendue possible par ses pouvoirs surnaturels et par la complicité de la faiblesse humaine, isole, terrorise et tue, après avoir fait miroiter l'illusion d'une vie de plaisirs, de facilité et de luxe (le parcours de Mary Ann). Plus on est riche, plus on est seul, plus on est pauvre en relations humaines enrichissantes. L'unique but de Milton est de donner naissance à son descendant, l'Antéchrist, en utilisant Kevin. Mais si ce dernier est très faible sur le péché d'orgueil, il est capable de résister dans le domaine de la luxure (alors que son patron est un as de la luxure). C'est cette résistance à la luxure qui perdra finalement Milton. Mais la dernière scène du film est là pour nous dire que le diable ne s'avoue jamais vaincu. Au terme de cette initiation, Kevin est "converti", il renonce à défendre des clients indéfendables comme ce professeur pédophile, et préfère donc perdre un procès que perdre sa propre rectitude morale. Or, au moment même où il vient d'agir selon le bien, un journaliste (encore une incarnation démoniaque) lui propose de faire un article sur lui, et il accepte, retombant ainsi dans la vanité du culte de l'ego... Un peu comme un prêtre qui, après avoir fait un très bon sermon (parce qu'il a beaucoup travaillé dessus, que c'est un bon orateur et un homme de prière qui se laisse inspirer par l'Esprit Saint), retourne à sa place tout satisfait de lui-même en se disant intérieurement: qu'est-ce que je suis un bon prédicateur! au lieu de remercier Dieu pour le don qu'il lui a fait de bien prêcher...). Une autre leçon de ce film, c'est que l'on apprend toujours davantage par soi-même et par l'expérience que par les bons conseils qui peuvent nous être donnés... Car si Kevin avait écouté les avertissements de sa mère, il se serait épargné cette douloureuse initiation aux tactiques du démon, et il aurait du même coup sauvé la vie de sa femme... On n'écoute rarement les bons conseils et les avertissements parce qu'ils semblent limiter notre sacro-sainte liberté, mais lorsque nous faisons une expérience pénible et que nous nous sommes trompés, nous nous corrigeons et nous nous améliorons plus facilement! Le diable étant le Prince de ce monde, notre liberté est toujours limitée et menacée, nous sommes facilement manipulables par l'attraction qu'exerce sur nous les péchés capitaux. Comme le dit la mère de Kevin, en citant les évangiles: Large est la route qui mène à la perdition, étroit est le chemin qui mène au salut... C'est au bout d'un parcours initiatique rempli de souffrances et d'illusions que Kevin Lomax fera l'expérience personnelle de la vérité de cette citation.

PadreBob
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le 1 juil. 2016

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PadreBob

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