Revêtu ainsi de ses beaux atours, "L'échange des princesses" aurait pu devenir le film historique de référence du cinéma français. Mais dentelles et dorures sont une chose, encore faut-il que le contenu soit à la hauteur...


Commençons de suite là où la bas blesse. Il est de bon ton dans le genre (historique) qu'un nombre impressionnant d'erreurs ou d'anachronismes soient commis. On passe (car cela était charmant) sur les fantaisies d'un Sacha Guitry qui nous conte Versailles avec une belle prestance mais dont les anecdotes sont pour le moins douteuses. On se fâche un peu plus quand le cinéma américain semble vouloir donner des leçons en matière de savoir faire, reconstituant "Les jardins du roi" (ceux de Versailles sous Louis XIV) en nous servant un récit-rupeux où l'on hésite pas à rajeunir le héros principal (Le Nôtre) de 40 ans pour les bienfaits (est-ce le terme exact ?) d'un scénario catastrophique. C'est le meilleur exemple en terme de contre référence.


"L'échange des princesses" est un épisode assez particulier de l'histoire de France, qui, s'il paraît insipide aujourd'hui (non mais !), pouvait faire basculer le destin de l'Europe à l'époque. Très jeune, l'infante d'Espagne (3 ans et arrière petite-fille de Louis XIV) fut promise à son cousin et futur roi Louis XV (11 ans et arrière arrière petit fils du même roi) et fut répudiée quatre ans plus tard s'en retournant contrite dans son pays natal. Globalement, même s'il y a un vrai problème de temporalité au niveau morphologique de la jeune actrice, le film respecte de nombreux éléments passés (le désintérêt du futur monarque et sa détermination à gouverner, l'isolement de l'infante et l'amour intéressé de la princesse de Palatine sa grand-mère, la gouvernance de Madame de Ventadour...).


Ce qui par contre semble plus gênant, c'est le rôle du Duc de Condé (en fait un Bourbon-Condé, petit fils de Louis XIV par sa mère). On le présente comme un personnage extrêmement agité, et formellement opposé au mariage avec l'Infante. Cela est vrai. Les raisons données sont assez troubles, alors qu'en réalité cela se justifiait, au moins à ses yeux. Qu'en est-il vraiment ? Louis XV de santé fragile est le dernier héritier en rang, de la branche des Bourbons. S'il venait à mourir, c'est son cousin Louis d'Orléans, second dans l'ordre de succession qui deviendrait roi. Hors les Bourbons et les Orléans se détestent. Le Duc de Condé (avant tout Bourbon) alors ministre, ne pouvait s'y résoudre au risque de perdre sa situation et surtout ses prérogatives de pouvoir, l'homme en plus d'être laid et fat, s'était fait expert en malversations à son profit. De plus Madame de Prie sa maitresse, avide de pouvoir et de richesses le pressait à faire évoluer rapidement la situation. La déchéance de l'Infante intervient en 1725 où Louis XV est pris de fièvres et le diagnostic vital est engagé. Le jeune roi remis sur pieds, le risques suspendu tel une épée de Damocles, les deux amants n'ont eu de cesse de précipiter le mouvement et de trouver la future reine, nubile, redevable (à leur solde) quitte à arranger un mariage inégal.


On se demande pourquoi cet épisode a été ainsi escamoté car il représente un intérêt scénaristique indéniable. D'autant plus que le film est quand même très/ trop linéaire et manque de souffle. Quelques années auparavant, le retour du mystique (avec l'arrivée de Mme de Maintenon) avait plongé Versailles dans la sinistrose. La cour avait hâte de retrouver l'éclat des fêtes d'antan, le faste et les frasques. On ne ressent jamais ici cette envie d'autant plus que le Régent, véritable initiateur du libertinage n'avait de cesse de faire oublier ces épisodes sombres. Cela fut à l'origine de nombreuses affaires et turpitudes.


Mais en regardant le film, on peut se dire que cela est un choix. En effet, Marc Dugain a préféré raconter cette histoire, côté jardins, alcôves et autres appartements particuliers. C'est l'une des grandes qualités du film, qui est en plus parfaitement exploitée, car cet "échange" s'est avéré au final plus anecdotique qu'autre chose. Il relève de l'intime, moins de l'Histoire. De fait, beaucoup de détails nous plongent dans un quotidien rarement montré dans de genre de production (chaise percée, valets à tout faire, jeux d'enfants, mœurs, lingerie, arts de la table, cérémoniaux royaux, étiquette...).


De même une réflexion extraordinaire a été menée sur la lumière (admirable habileté de Gilles Porte, coréalisateur de "Quand la mer monte") pour accentuer cette approche du familière. Quasiment toujours indirecte, elle jaillit de manière latérale en focale sur tel personnage ou cœur d'une scène. Les effets sont magnifiques et confortent beaucoup le côté confidentiel de récit.


Autre partie technique sensationnelle, les costumes de Fabio Perrone, somptueux jusqu'à la moindre couture ! Il y a un tel souci historique du détail que cela en est impressionnant. Les tenues du jeune roi tout particulièrement sont frappantes, s'inspirant souvent de portraits faits de lui. Ainsi, l'habit de chasse, bleu Champaigne, surmonté aux manches et plastron de fourrure léopard, est tout simplement merveilleux. Et que dire des robes de ces dames, là où dans la plupart des films on se contente d'imprimés, ici elles sont brodées à l'ancienne. Et l'on retrouve cette même rigueur à la cour de Philippe IV. Excellente méthode de recherche, et ouvrage d'expert !


Un autre point positif s'ajoute encore à cela, l'interprétation. A commencer par Igor Van Dessel (Louis XV), déjà par la ressemblance frappante aux portraits, mais également à son détachement dû au traumatisme de la mort (ses proches, mais la sienne qu'il craint plus que tout). En matière de jeu, il égale celui de Jocelyn Quivrin (jouant le jeune Monsieur, frère de Louis XIV dans "Louis enfant roi") en naturel, assurance, maturité et expression. Julianne Lepoureau (l'Infante) est elle-même assez troublante par sa prestance. Les seconds et troisièmes rôles amènent également une belle authenticité au film : bien évidemment Catherine Mouchet (formidable ! Un César ! un César ! un César !), Andréa Ferreol et Didier Sauvegrain (tous deux très bons et que l'on a plaisir à revoir à l'écran), Kacey Mottet Klein est quant à lui mémorable en Prince des Asturies.


A ce niveau d'excellence du rendu final, si Dugain avait cherché à surprendre plus le spectateur ce serait parfait. A commencer par décupler les pointes d'humour (il y a quand même quelques répliques savooureuses, notamment avec "la pire punition pour un chat qui serait d'assister à un conseil du régent" parole du jeune roi). Quelques scènes fonctionnent très bien et certains personnages très proches de la réalité telle la princesse Palatine (femme du frère de Louis XIV qui a toujours eu son franc parler), Madame de Ventadour, "la Farnese" reine d'Espagne, le Cardinal Fleury, Louis XV et bien sur la petite Marie Anne Victoire. Le personnage de Bourbon-Condé est lui totalement raté, ainsi que celui de Louise Elisabeth (l'autre princesse) trop vieille pour le rôle, la vraie n'avait que 12 ans à son départ, quant à Gaston d'Orléans (Olivier Gourmet), son rôle est peu développé (très loin du régent de "Que la fête commence" !).


"L'échange des princesses" reste toutefois un bon film auquel j'ai pris beaucoup de plaisir. Connaissant particulièrement bien cette période de l'histoire, il est vrai qu'au début, je me suis dis voilà le film que j'attendais, force et de constater que la suite à apporté sa pointe de déception laissant poindre, tel le grain de poivre dans une tasse de chocolat, et une petite amertume.

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le 5 janv. 2018

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Fritz Langueur

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