C’est un bien curieux documentaire que nous offre Julien Faraut, archiviste à l’Insep (Institut national du sport), à partir d’une vingtaine d’heures de rushes inédits consacrées au tennisman Mc Enroe à Roland Garros.


Faut dire qu’on ne s’attendait pas forcément à ce que le film s’ouvre sur une citation de Godard, qu’il nous parle de vieux systèmes de caméras ou de théorie des auteurs dans le cinéma éducatif. Le réalisateur s’est penché sur le travail de Gil de Kermadec, qui dans les années 60, pour promouvoir son sport, a réalisé « Les Bases techniques du tennis » puis toute une série de reportages sur les grands tennismen de son temps lors des deux décennies qui vont suivre. D’un charme désuet entre Chaplin et Jacques Tati, ses films se sont peu à peu transformés en de véritable ovni taillés pour capter les mouvements du sportif de haut niveau et lui seul dans la perfection de ses gestes et le carmin de la terre battue. L’empire de la perfection s’attache donc dans sa première moitié à nous expliquer par le menu toute la démarche pédagogique puis perfectionniste et involontairement artistique de ce Gil de Kermadec lorsqu’il focalisait son objectif sur McEnroe. L’acte de filmer, même dans un but qui n’est pas celui de raconter une fiction, entraine ainsi une passionnante réflexion sur le cinéma, d’autant plus qu’elle est totalement inattendue.


L’empire de la perfection bascule ensuite véritablement sur l’étude de Mc Enroe, le champion irascible et brillant incarné récemment par Shia Labeouf dans Borg/McEnroe et qui n’est pas sans évoquer les biopics récents sur des sportifs aussi exceptionnels qu’ambivalents (The Program sur Lance Armstrong ou Moi, Tonya sur Tonya Harding). Filmé comme une bête curieuse, le tennisman est analysé dans ses gestes et son attitude pour aboutir à la conclusion déjà connue qu’il avait avec son sport un rapport pas loin du sado-masochisme. Certaines séquences où il s’engueule avec tous les arbitres possibles sont légèrement redondantes, d’autres centrées sur son jeu sont à couper le souffle.


L’empire de la perfection, en s’intéressant tout autant à l’observateur (l’illustre inconnu Gil de Kermadec et son projet minutieux à l’extrême) qu’à son sujet (McEnroe au sommet de sa forme), transcende le reportage pour devenir une expérience à part. Reste que l’on sent malheureusement les circonvolutions parfois capillotractées pour placer Roland Garros à tout prix à côté d’hollywood, le montage qui a un peu trop visiblement Godard pour maître à penser – ce qui aurait pu être pire, soyons franc – et la bataille pour arriver au format princier de 90 minutes, ce qui pour un film qui insiste sur à quel point il est important pour un tennisman de gérer la durée de ses échanges, est presque ironique.


En fait L’empire de la perfection m’a fait penser au travail d’Arnold Odermatt, un photographe suisse qui a travaillé dans la police de 1948 à 1990 et qui a pris des milliers de photos d’accidents de la route et d’incendies dans le cadre de son métier. A l’orée des années 2000, il a commencé à faire le tri dans ses clichés et s’est rendu compte de la valeur artistique de certains d’entre eux. Sorti de tout contexte, une voiture sur le côté comme un gros insecte sur sa carapace à deux pas du lac Léman donne un cliché assez unique, et il a été exposé dans le monde entier. L’empire de la perfection c’est un peu ça, Julien Faraut fait ressortir le potentiel artistique, poétique et même cinématographique d’une série d’études sur le mouvement des sportifs, s’il rame pour tenir sa durée, le projet mérite néanmoins clairement le coup d’œil.

Cinématogrill
6
Écrit par

Cet utilisateur l'a également mis dans ses coups de cœur.

Créée

le 10 juil. 2018

Critique lue 486 fois

3 j'aime

Cinématogrill

Écrit par

Critique lue 486 fois

3

D'autres avis sur L'Empire de la perfection

L'Empire de la perfection
JanosValuska
8

Soigne ton gauche.

L’image qui revient le plus dans L’empire de la perfection, celle qui marque par sa redondance et son apparente inutilité, c’est la fin du rush, avec cette pancarte numérotée agitée par l’assistant...

le 13 nov. 2018

4 j'aime

L'Empire de la perfection
Cinématogrill
6

Retour sur un problème d’image(s).

C’est un bien curieux documentaire que nous offre Julien Faraut, archiviste à l’Insep (Institut national du sport), à partir d’une vingtaine d’heures de rushes inédits consacrées au tennisman Mc...

le 10 juil. 2018

3 j'aime

L'Empire de la perfection
Stan_S
6

Si tu veux admirer "Big Mac" en action...

L'Empire de la perfection est un documentaire sur la fabrication d'un documentaire sur le génial John McEnroe : en gros, on a un documentaire sur McEnroe, mais les faits que la genèse et...

le 29 juin 2018

2 j'aime

2

Du même critique

Room
Cinématogrill
5

La fin de l’innocence

8,3/10 sur l’imdb, 86% sur métacritique, 94% sur rotten tomatoes, 5 nominations pour un oscar et 7,7/10 sur sens critique à l’heure où j’écris cet article : Room à première vue apparaît comme un...

le 11 mars 2016

56 j'aime

The Florida Project
Cinématogrill
5

Question ouverte au réalisateur : où est le scénario ?

Sean Baker est à la limite de l’artiste contemporain et du cinéaste. Ultra engagé, il s’est fait connaitre après le micro exploit de réaliser en 2015 Tangerine, entièrement tourné avec trois...

le 19 déc. 2017

38 j'aime

5

Thunder Road
Cinématogrill
5

Bonjour tristesse...

J’ai sérieusement conscience d’aller à contre-courant de la perception que semble avoir le monde entier de ce film plébiscité (à part une partie de la presse française spécialisée) mais...

le 13 sept. 2018

28 j'aime

5