Assez sublime morceau de cinéma que l'on peut découvrir avec L'esclave libre, car non content de nous prodiguer tout le savoir faire du cinéma d'aventure classique à la Autant en emporte le vent (sans l’inconvénient d'une durée trop étendue), il remet à plat pas mal de choses sur l'époque de l'esclavagisme, et parvient à en restituer une synthèse cohérente qui, disons le, réhabilite le Sud dans ses points positifs et fait quelques rappels salvateurs. Il conserve son approche libertaire avec son héroïne principale, au teint très clair mais issue d'une union avec une esclave et donc soumise aux mêmes règles que ce sous-groupe. Ainsi, elle doit apprendre à redécouvrir la société dans laquelle elle a vécu, ainsi que les personnes qui l'entourent.


Le principal point qui pourrait faire écueil dans l'Esclave libre est la gentillesse revendiquée des esclavagistes. Nous n'assisterons pratiquement à aucune maltraitance, ce qui change radicalement de la quasi intégralité des autres films mémoriels traitant du sujet, tous plus ou moins lourds dans la surenchère. Cette gentillesse est toutefois logique (un esclave abîmé se vend moins bien, travaille moins bien...), mais le film avait surement senti que ce point lui serait reproché, alors il en fait un axe rhétorique majeur à propos de l'esclavagisme.



La générosité est la pire arme des esclavagistes. C'est celle qui vous
fait abandonner la lutte [pour la liberté], et la désamorce au moment où elle bout en nous.



La gentillesse qui sert à donner bonne conscience à l'un tout en s'assurant l'obéissance de l'autre, par une déviation du sentiment naturel de reconnaissance envers son bienfaiteur, l'abandon de l'évasion... Autant de sujets que le film traite sans détour et avec de solides arguments. Le film laisse donc clairement le progressisme de l'époque s'exprimer. Mais il montre aussi les limites de ces raisonnements avec leurs effets dans la réalité. Et à ce sujet, le constat est particulièrement sévère pour les nordistes. Le film montre le pillage des richesses du Sud et l'aspect économique de cette guerre qui avance l'abolition de l'esclavage comme une justification morale. L'ordre général 28 qui autorise les militaires à traiter les femmes considérées comme hostiles comme des "filles de rue" (plusieurs femmes seront emprisonnées sous cette règle, qui aura été fortement dénoncée à travers le monde durant cette période). Mais sa meilleure cartouche reste l'ensemble de la description des militaires enchaînant les discours moralistes... alors que l’apartheid et la ségrégation ne les gênent absolument pas. Libérer les noirs consiste dès lors à les mettre simplement dans la rue. Et là que la générosité tant critiquée dans la première heure et demie prend un sens nouveau. Les blancs du Sud tenaient à leurs esclaves, et leurs esclaves à leur maître blanc. Il y avait une interaction sociale, qui est clairement ici montrée comme positive. Ce qui explique alors les nombreuses aides d'esclave que reçoit l'esclavagiste Hamish Bond quand il tente de s'enfuir avec l'armée à ses trousses. On n'ira pas donner une valeur historique à ce récit romancé, mais sur le plan de l'émotion et du constat social, ses prises de positions qui flirtent avec le politiquement incorrect aujourd'hui ont un sacré répondant.


Régulièrement marqué par de sérieux retournements, l'Esclave libre n'est émaillé que par quelques défauts, notamment une scène de baiser torride dans une chambre agitée par la tempête qui arrive bien trop tôt dans le récit. La supprimer n'aurait rien changé à l'évolution sentimentale de l'héroïne, et cela aurait même nuancé ses prises de position concernant Hamish (fort heureusement, la séquence souvenir de traite des nègres viendra remettre en balance ces émotions). Mais le parcours est déjà riche en rebondissements, et si un traitement un peu plus étoffé sur les premières années de liberté du peuple noir américain n'aurait pas été de trop, le film a l'avantage de se resserrer autour de son aventure. Solide morceau de cinéma et de nuances, l'Esclave libre mérite une redécouverte moderne et un dépoussiérage.

Voracinéphile
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le 27 févr. 2019

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