"Nous ne vieillirons pas ensemble "
Ce que j'aime particulièrement dans cette histoire c'est sa portée mélodramatique, mine de rien, on n'en voit plus tant que ça des films aussi premier degré, n'ayant pas peur de paraître naïf, guidé par des grands sentiments. Dans le cynisme ambiant d'une grande partie de la production actuelle (dernier exemple en date le Ozon), ça m'a fait du bien.
Tout n'est pas parfait loin de là, le film est inondé de musique (un peu trop sans doute) et les personnages secondaires n'ont pas tous le même impact, ni la même justesse (la séquence en Russie avec Tilda Swinton est grandiose par exemple - on se croirait chez Hopper - a contrario ce qui se passe avec le père de Benjamin est moins intéressant, un peu plus artificiel). Le film traverse le 20ème siècle, de la fin de la Grande Guerre à l'ouragan Katrina sur la Nouvelle Orléans, quelques rebondissements sont parfois un peu téléphonés mais globalement le film garde une force expressive quasi constante.
Si The Social Network (que Fincher réalisera l'année d'après) est un grand film de dialogues, véritables moteurs du film - ce sont eux qui accélèrent le récit, le transforme; L'Etrange histoire de Benjamin Button est animé d'une toute autre force, celle du cinéma muet (je suis persuadé qu'on pourrait voir ce film en coupant le son et en le comprenant parfaitement). L'important c'est l'expressivité des visages, des corps, des villes... ; le travail des techniciens, sur la lumière, la photo, les maquillages, les effets visuels, les costumes est remarquable, relève de l'excellence.
Et puis bien sûr il y a cette histoire d'amour entre Benjamin et Daisy, raconté au crépuscule de sa vie par une vieille dame à sa fille (comme Titanic). Le film brasse parfois quelques banalités et on retrouve plusieurs clichés dans la période où Benjamin et Daisy ont tous les deux la quarantaine (le film s'amuse à les répertorier d'ailleurs lors d'une courte scène où Fincher retrouve quelques tics de clippers qu'il avait particulièrement dans ces premiers films), en revanche dans son dernier tiers/quart, je trouve le film bouleversant, plus profond : la prise de conscience terrible de Benjamin qui se rend compte qu'il ne pourra jamais élever l'enfant qu'il vient d'avoir avec Daisy, son choix de partir très tôt du foyer pour que l'enfant ne garde aucun souvenir de lui, pour qu'il ne soit jamais une charge pour Daisy ; c'est bien là où le film est le plus bouleversant dans cette prise de conscience progressive de Benjamin qu'il ne pourra jamais vieillir avec Daisy . A ce titre, les quelques dernières minutes elliptiques où Benjamin a le corps d'un enfant de 13 ans, puis 8, puis 5 puis 2, sont parmi mes préférés du film. Dans sa façon de monter ces scènes, il y a qqc du Malick de Tree of Life.