Étreinte fougueuse à un genre - le giallo - qui n'était plus de ce monde, Amer constituait l'objet hexagonal (pas que certes...) le plus fou et le plus déroutant de la décennie passée avec Calvaire et Innocence. Pour l'adorable tandem Forzani/Cattet, il s'agissait surtout d'un galop d'essai dans l'espoir de venir à bout de leur deuxième long, qu'ils brodent depuis voilà un bon bout de temps : baignant à nouveau dans le cuir et les lames, L'étrange couleur des larmes de ton corps voit enfin le jour...

Dès lors, et malgré la continuité immédiate dans l'imagerie giallesque, cette seconde monture ne joue pas la carte du rejeton siamois ; alors qu'Amer prenait place dans un Sud qui soufflait sans cesse sa lumière et sa morgue, L'étrange couleur... se délocalise à l'opposé, dans un Bruxelles d'un autre temps. Un côté "germanique" évoquant forcément Suspiria, alors que l'action se ressert à un immeuble plongé indéfiniment dans les ténèbres, où l'on entend gémir à loisir dans la nuit et les passages secrets, mentaux ou véritables, se dérobent comme dans Inferno. À l'alliance du gothique et du baroque d'Argento, le duo répond par un hommage somptueux et trop rare à l'Art nouveau, ici célébré dans chaque plan (et jusque dans l'affiche "muchienne" de Gilles Vrackx).

Point de départ : un homme rentre chez lui après un long voyage. Sa femme a disparue.
Moteur, action...
Plus de personnages, plus d'écriture, plus de mouvements : L'étrange couleur... semble répondre aux détracteurs du premier film, qui lui ont souvent reproché son absence de scénario (entre autres). Amer était un fantasme de giallo ; L'étrange couleur... lui, reprend une trame policière, un simili-whodunit se perdant très vite dans des dédales de scènes violentes. Le personnage principal, Hans, verra ainsi d'autres hommes venir à sa rencontre, eux aussi hantés par des visages et des corps de femmes aussi voluptueux que dangereux. Ici, l'homme est une victime : la femme est la détentrice de la lame, du plaisir, du mystère, et peut-être de la vérité.
Au milieu du chaos ambiant, il y a toujours cette symphonie de mort où la jouissance semble intiment liée à la douleur et inversement, où tout semble désir même dans le sang, où chaque blessure semble participer à un nouveau rituel sado-masochiste.

Cette structure kaléidoscopique à souhait (dépassant même en abstraction n'importe quel film de Fulci ou d'Argento) débouche sur un récit de moins en moins compréhensible, comme si le duo refusait catégoriquement que le public puisse se situer dans ce labyrinthe d'un nouveau genre. Le risque de laisser son public sur la touche est donc encore plus prégnant que dans Amer (où l'on se laissait malgré tout prendre par la main), si ce n'est bien trop présent. Ajoutons à cela une interprétation souvent embarrassante, en particulier concernant les rôles masculins, tous échappés d'un téléfilm policier allemand. Amer, quasi-muet, avait largement évité cet écueil récurent du ciné de genre français.

D'Argento à Martino, en passant par Bokanowski et Miraglia, les références sont toujours digérées magistralement ; les expérimentations sont poussées à leur comble, jusqu'à rendre l'expérience physique, pour ne pas dire éprouvante (voire irritante hélas). L'étrange couleur... est une oeuvre qui a la main lourde...
La technique y est irréprochable, faisait briller de mille feu un Super 16 impensable à l'heure du numérique : mais ce qui l'accompagne, plus maladroit, plus bordeline (même la b.o se révèle bien moins inspirée que celle de son prédécesseur) tend à des défauts étrangement typiques d'un premier film. En tout cas, si cet Étrange couleur... est une erreur de parcours, il s'agit d'une belle erreur. Très belle même...

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le 14 févr. 2014

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