Après Herzog et John Boorman, revoilà un film qui nous ramène au cœur de la jungle amazoniene réceptacle des sens primitifs, tout au long de la remontée d'un fleuve comme un retour vers notre essentiel. Mais, là où Aguirre nous plongeait dans une jungle dont on guettait chaque bruit comme le signe d'une menace dans un silence de cathédrale, dont l'envahisseur semblait exclu, ici Cerri Guerra joue l'osmose entre les hommes et le vivant qui les entoure avec un somptueux noir et blanc qui ramène visuellement plantes, hommes et animaux sur un même plan .
Cette quête à distance de la Yakruna par deux explorateurs à 40 ans de distance est aussi celle du chaman qui les accompagne. Chacun cherche à retrouver sa place dans le désordre venu de loin. Il y a ce silence de la jungle qui ne répond plus aux interrogations de l'indien. Comme s'il était exclu ou pire s'était exclu du monde qui le portait. Il y a cette quête de connaissance par cet explorateur qui veut toujours comprendre avant que de ressentir et voir de loin plutôt que vivre de l'intérieur les choses qui l'entourent,


C'est une confrontation entre deux visions du monde, Mais elle ne s'exprime pas de façon manichéenne comme le seul combat du monde autochtone contre celui des envahisseurs, non c'est aussi celui de la nature profonde de l'homme et de sa perversion due à l'envie de tout comprendre et maitriser. C'est tout ce qui sépare le fusionnel du désir d'être la main du maître.


Cet égard le retour dans une mission dont les guides spirituels ont été tués nous montre les ravages de la foi lorsque celle-ci n'est qu'un outil de pouvoir et de domination.


Cette quête de la Yakruna, St Graal pour ces explorateurs, est en fait que le désir profond de revenir à l'indicible dont l'homme s'est éloigné lorsqu'il quitta le monde comme si la volonté de connaissance finissait par tuer notre plus profonde et originelle conscience.
A le regarder, l'entier du film nous entraine à nouveau vers ce désir de se fondre à tout ce qui nous entoure, dans ce temps sans temps comme le susurre l'indien, ce monde où les potions distraient la maladie plutôt que la combattre. La magie profonde de ce film tient dans tout cela. Sans chercher à nous donner une leçon sur la colonisation, les ravages écologiques, les combats mystiques entre conceptions du monde, il nous fait lentement glisser dans cette dimension ou l'on perd ses faux repères et qu'alors on ressent cet éclatement de soi qui nous disperse aux quatre coins du monde et 24 heures du temps. Une courte scène finale vient faire écho au final de 2001. cela pourrait choquer mais en fait cela vient comme fermer une boucle et nous ouvrir un monde où, du tréfonds des jungles amazonienne au vide intersidéral, l'homme qui s'est perdu lui-même ne cherche qu'à retrouver sa place dans l'ordre de ces choses qu'il a peine à comprendre.

wante-mandret
8
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le 3 avr. 2017

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