Soirées mondaines, réceptions, bals, courses hippiques. Principales composantes du quotidien d'une aristocratie bien rangée, fidèle à ses traditions, satisfaite de pouvoir regarder la société de haut. Microcosme qui s'idéalise et s'adule tout seul, il se laisse difficilement approcher. Un univers où l'on brasse beaucoup d'air, où les paroles se faufilent, jusqu'à être balayées par L’Éventail de Lady Windermere.


L’Éventail de Lady Windermere est loin d'être le film le plus célèbre d'Ernst Lubitsch. Pourtant, ce qui est, à l'origine, une pièce d'Oscar Wilde, constituait le terrain de jeu idéal pour le cinéaste. En effet, cette histoire de conflits d'intérêt et amoureux dans l'aristocratie britannique contient tous les ressorts qui font tout le charme de son cinéma. Ici, Lubitsch nous dresse rapidement le panorama de l'intrigue, présentant ses principaux protagonistes, avec l'aristocrate droit dans ses bottes et irréprochable, la jeune femme douce et éplorée, le prétendant qui cherche à la séduire, et tous les autres qui gravitent autour de ce trio, sans oublier Mrs Erlynne, dame au passé mystérieux, mais au cœur de toutes les attentions. Fatalement, l'arrivée de cette dernière va chambouler les ordres et les traditions, une perturbation nécessaire pour mettre en lumière tous les travers de cette société.


Naturellement, Lubitsch ne se gêne pas pour caricaturer cette aristocratie à bout de souffle, en soulignant la superficialité de ces individus qui se complaisent dans leur monde d'illusions. Cependant, c'est bien à travers le personnage de Mrs Erlynne que s'expriment tous les éléments de discours propres à cette vision de l'aristocratie que prône ici Lubitsch. Lors de la scène de l'hippodrome, où tous se mettent à observer Mrs Erlynne, l'aristocratie est dans la délation, pointant du doigt cette femme de condition supposément indigne, que l'on fixe du regard dans une sorte d'admiration haineuse. Mrs Erlynne, elle, bien qu'en dehors de cette aristocratie, est prise d'une volonté irrépressible d'obtenir du crédit aux yeux de cette dernière, d'avoir une vraie place dans la société et de bénéficier d'une riche oisiveté. L’Éventail de Lady Windermere casse les traditions, on s'en moque, on rit de ces individus obnubilés par leur besoin de reconnaissance par la société et par des personnes qui n'en valent pas la peine.


Dans une aristocratie aux mœurs superficielles, les jeux de faux-semblants sont vite démasqués. Se défiler est simple, jouer un rôle est un art, être soi-même, une épreuve. Car, au-delà de cette image d'une caste murée dans ses codes, il y a la volonté de rendre son authenticité à l'être humain. Une authenticité pétillante et dynamique dans La Princesse aux huîtres et La Poupée, et encore plus audacieuse dans le futur Sérénade à trois. Ici, bien que son attitude pose souvent question quant à sa sincérité et sa capacité à assumer les conséquences de ses actes, Mrs Erlynne représente justement cette part d'authenticité, qui s'exprime à travers le portrait de cette femme égarée, seule, qui a besoin de retrouver ses repères en retrouvant sa place dans la société. Un comportement qui découle d'une vision très verticale et généralisée de notre société, où l'importance d'une personne se résume souvent à ses influences, son pouvoir, ses relations, et à la taille de son portefeuille. Quelque part, Lubitsch exprime ici la vampirisation de l'humain par la sophistication exagérée et ridicule d'une aristocratie fausse et superficielle.


Toujours dans sa période muette, Lubitsch continue à gagner en maturité en poursuivant le développement de ses thématiques de prédilection. Cherchant sans cesse à casser les traditions, osant taper où ça fait mal, mais toujours avec une certaine bienveillance, donnant une grande importance aux personnages féminins, il continue ici à s'imposer comme un cinéaste audacieux, humain, pertinent et impertinent, avec une longueur d'avance sur son temps. Moins comique que beaucoup de ses autres films, L’Éventail de Lady Windermere adopte un humour plus grinçant et cynique, dans une véritable démarche de dénonciation. Une belle comédie dramatique, judicieuse et pertinente.

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le 18 nov. 2018

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