Voilà un film complexe et nuancé, là où il est si facile de tomber dans la démagogie. Le destin croisé d’un homme et de l’Etat.


Un Etat bien mal en point, dominé par une caste, miné par des intérêts particuliers, bien loin du peuple. Mais aussi des femmes et des hommes (surtout), animés par des désirs souvent contradictoires ; un personnel politique que l’on décrit souvent en mettant en avant ses avantages, ses privilèges même, mais qui est aussi montré sous l’angle de la souffrance, avec des corps qui endurent beaucoup, sans parler de l’âme, qu’on peut vite donner au diable.


Le personnage principal, Saint-Jean, n’est pas un homme politique comme un autre. Il n’a pas construit une carrière politique avant de devenir ministre, c’est un homme nouveau, un peu comme Emmanuel Macron sous Hollande, et cela n’est pas anodin. La question qui est posée, et à laquelle il est au final donné une réponse claire, est de savoir si un homme animé de convictions peut rester fidèle à ses valeurs sans être broyé par le système. La réponse est nette, sans doute discutable, en tout cas on aimerait l’imaginer, mais conforme à ce que l’on pressent sans très bien connaître ce milieu : dans ce panier de crabe, on se soumet ou on saute, la résistance est vaine.


Car s’il existe de réels serviteurs de l’Etat, attachés à la notion de service public, et le directeur de cabinet restera de ce côté-là jusqu’à la fin, il nous est montré dans ce film des hommes politiques animés par un désir inextinguible, une soif du pouvoir et de la gloire afférente, qui relève de pulsions libidinales, comme veut le montrer la scène introductive, pleine d’un surréalisme qui n’est pas sans rappeler un célèbre tableau de Dali, le Rêve causé par le vol d'une abeille autour d'une grenade, une seconde avant l'éveil. Saint-Jean doit choisir entre ses convictions et sa place, et l’on comprend vite que si le travail de ministre est harassant, il procure aussi d’immenses satisfactions auxquelles on ne renonce pas facilement. Il y a un côté jouissif et addictif dans cet exercice du pouvoir.


Mais c’est aussi un monde de souffrance. Les Français qui galèrent tous les jours ne peuvent pas l’entendre, et c’est compréhensible, mais les politiques sont des personnes en souffrance, dans ce film, le corps de Saint-Jean souffre. Il doit avancer sans tout le sommeil nécessaire, il doit endiguer l’angoisse, les sollicitations permanentes, la nécessité d’être digne, car le ministre est exposé en permanence, il doit conserver un corps droit, une langue qui ne doit pas fourcher, et pour cela, le tabac, les médicaments ou l’alcool peuvent aider. Le corps souffre au point que le ministre vomit à plusieurs reprises, qu’il en perd le contrôle, qu’il doit le refroidir régulièrement comme on le fait pour l’enceinte d’une centrale nucléaire. Le ministre n’a pas une seconde à lui, il doit sans cesse réagir, le téléphone toujours à l’oreille, et il doit se conformer aux conseils de sa conseillère en communication, indispensable. Le ministre, c’est d’abord une image à tenir. Il prend des décisions, mais son rôle est d’abord lié à la communication, le gros du boulot est réalisé par son équipe, et notamment le directeur de cabinet.


Le film, fiction assumée, comporte ainsi une importante dimension documentaire. Il s’agit de nous montrer ce qu’est le quotidien d’un ministre, et plus généralement, le fonctionnement d’un cabinet ministériel et l’entourage du ministre, les différentes personnes qui composent son cabinet, et notamment le directeur de cabinet, mentor et éminence grise, rouage clef souvent ignoré, ici magistralement incarné par un Michel Blanc à contre emploi. Un monde, un tout petit monde…


Mais un monde éloigné de la réalité des gens. Pour incarner ce monde des petites gens, le chauffeur, superbe taiseux, et surtout sa femme, Josépha. La rencontre entre le ministre et Josépha est un moment fort du film. La communication semble impossible entre eux deux, un véritable dialogue de sourd. Une coupure est là, que peu de politiques entendent, et c’est cette fracture qui favorise la progression de l’extrême-droite. Il y a dans cette scène tout le drame de la situation actuelle : des politiques qui ne comprennent pas la souffrance des petites gens, par ce qu’ils sont presque tous issu du même monde, de la bourgeoise, passés par les mêmes grandes écoles, et notamment l’ENA. Parce qu’ils sont pétris de la même culture (on le voit ici aux références, Churchill, De Gaulle, le discours de Malraux pour l’entrée au Panthéon des cendre de Jean Moulin), ou de la même inculture, quand on voit que les politiques se plantent sur le prix d’un ticket de métro ou d’un pain au chocolat. Tout est là, et tant que notre classe politique ne sera pas plus proche des Français, l’extrême-droite fleurira, je le crains…


Le film montre le poids de la démocratie d’opinion, la soumission des politiques aux sondages, l’importance également de la petite phrase, du buzz, mais aussi du storytelling : « l’important ce n’est pas la gare, ce n’est pas la ville, c’est l’histoire que ça raconte »…


Alors oui, le film est pessimiste, l’Etat va mal en France, la classe politique, on le voit encore avec les nombreuses affaires qui fleurissent ces derniers temps, n’est pas au niveau, même s’il y a encore de fidèles défenseurs du service public, il ne faut pas l’oublier non plus. La Vème République est en déroute. Ce film a le mérite de montrer qu’il faudrait impérativement la refonder, dans un sens beaucoup plus démocratique. Nous aimerions tant que cela change…

socrate
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le 12 mars 2017

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