"Belle journée pour un exorcisme, mon père..."

La raison principale pour laquelle le chef-d'oeuvre de William Friedkin (attention je parle ici de la version originale de 1973, le sabotage orchestré par Friedkin lui-même en 2000 pour faire plaisir à son pote Blatty tout en permettant à la Warner de s'en mettre plein les poches n'aurait jamais dû voir le jour) résiste si bien à l'épreuve du temps est simple: "L'Exorciste" est bien plus qu'un simple film d'épouvante (et il est encore moins, contrairement à ce que beaucoup pensent, un film d'horreur), c'est un pur drame psychologique, d'une incroyable puissance qui plus est.
Le cas de possession de Reagan et les "effets chocs" l'illustrant n'ayant d'autre but que d'amplifier un peu plus l'état de K.O. dans lequel nous laisse le film quand son générique de fin retentit, surtout lorsqu'on le visionne pour la première fois.
Le démon s'attaquant à Reagan n'est ici rien d'autre que la métaphore des différentes "épreuves" que nous pouvons tous sans excéption être amenés à affronter au quotidien: la maladie (le désespoir de la mère de Reagan face à l'épreuve traversée par sa fille et face à l'impuissance des psychiatres - et par là-même la peur de perdre le fruit de ses entrailles), la perte de proches (la mort de Burk Dennings, et plus encore celle, traumatisante, de la mère du père Karras), l'explosion de la cellule familiale (la mère de Reagan vit séparée de son mari, l'absence de ce dernier rendant la jeune fille d'autant plus vulnérable), la perte de foi (le père Karras est complètement paumé), et la peur de vieillir - donc de se rapprocher de l'inéluctable - qui perturbe aussi le père Merrin (inoubliable Max Von Sydow), car au fond ce dernier sait bien qu'à son âge ses chances de sortir vivant d'un ultime duel avec son "ennemi intime" sont inexistantes.
Il n'a pourtant pas d'autre choix que de l'accepter.

"L'Exorciste" est donc l'adaptation de l'incroyable roman éponyme de W.P. Blatty, lui-même inspiré d'un fait d'hiver réel.Toute l'intelligence du film, comme le roman d'ailleurs, est de prendre son temps, dans sa première partie, pour installer l'histoire, les différents protagonistes, et de faire progressivement monter la tension, afin de mieux laisser les "évènements" se déchainer dans sa deuxième partie.
En choisissant d'adapter le magnifique prologue en Irak, Friedkin fait d'une pierre deux coups, en introduisant le personnage du père Merrin, et en interpellant le spectateur: on s'attend à voir un "film d'horreur", on se retrouve en Irak, sur un site de fouilles archéologiques...Intriguant.
L'ombre du mal plâne déjà sur ces images saisissantes d'exotisme, et l'on pressent déjà que Merrin a "rendez-vous" avec une vieille connaissance.Le plan saisissant mettant face à face ce dernier et la statut du démon Pazuzu confirmant un peu plus l'évidence: le prêtre ne pourra échapper à son destin.
Et il en est d'ailleurs parfaitement conscient.
On passe ensuite à la banlieue de Georgetown, ou nous faisons la connaissance de Reagan et de sa mère Chris McNeil, actrice de son état.
Ensuite le film, là encore, prends son temps pour montrer l'apparition des "phénomènes", d'abord intriguants, puis franchement inquétants.Les choses ont le mérite d'être claires: choisir Reagan comme cible est avant tout un moyen pour le démon de provoquer Merrin, pour un ultime combat entre le bien et le mal.
Rencontre également avec le père Damien Karras (Jason Miller dans le rôle d'une vie, la puissance qui se dégageait du regard noir de l'acteur était assez incroyable), qui sauvera Reagan par son "sacrifice" à la fin du film.
Ce qui nous amène inévitablement à parler de la dernière partie du film, à savoir l'exorcisme de la jeune fille, incroyable climax ayant conservé son efficacité diabolique (nan même pas honte), due en grande partie à cette montée progressive de la tension et du suspense, à une construction "classique" du récit en trois parties (prologue Irakien/dégradation des personalités psychique et physique de Reagan s'accompagnants des divers phénomènes/exorcisme final), ainsi qu'au soin apporté à la (re)présentation des différents personnages.

Opter pour le même style, limite documentaire, que sur "French Connection" (est-ce vraiment un hasard si la scène de l'artériographie reste toujours aussi difficile à regarder ?), instaurer un climat pesant, parfois malsain mais surtout réaliste, faire en sorte que le spectateur s'attache profondément aux personnages...
Plus encore que ses effets visuels et ses maquillages, incroyables d'ingéniosité et d'efficacité pour l'époque, c'est tout cela qui fait qu'aujourd'hui le classique de Friedkin n'a quasiment pas pris une ride.
Quand à savoir qui, du "bien" ou du "mal", l'emporte finalement, comme l'a toujours si bien dit le réalisateur, c'est à vous de décider, selon vos croyances ou vos convictions.
Une oeuvre immense, dont le cultissime thème musical de Mike Olfield, "Tubullar Bells", résonne encore aujourd'hui en nous jusqu'au frisson.
Sylvinception
10

Créée

le 26 févr. 2013

Modifiée

le 2 mars 2013

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