[SanFelice révise ses classiques, volume 10 : http://www.senscritique.com/liste/San_Felice_revise_ses_classiques/504379 ]

Je recommence ma critique sur ce film, mais pour dire la même chose et laisser la même note. Je continue de penser que L'Exorciste est un film surestimé et inégal.
Il y a deux films dans L'Exorciste : un premier film fantastique plutôt réussi et intelligent, et un pseudo-film d'horreur laid et loupé.
Prenons dans l'ordre. Le film commence d'une excellente manière, et la scène d'introduction, en Irak, est sûrement la meilleure. D'emblée, Friedkin nous plonge dans un monde où le Mal existe bel et bien, où on sent sa présence à chaque coin de rue, dans des regards sombres ou des personnages marginaux. Le film se déroule dans un univers où le combat du Bien contre le Mal est constant. Loin des religions officielles qui ont asceptisé ces concepts (voir l'église bien blanche et proprette, ou encore les enfants jouant à se faire peur pour Halloween), la présence du Mal est vraiment effrayante pour ceux qui savent la déceler.
Le cadre hyper-réaliste du début est excellent pour implanter le fantastique à proprement parler. La longue hésitation entre explication rationnelle (une maladie de Regan) ou surnaturelle est très plaisante.
Et cela permet même à Friedkin de poser quelques thèmes de réflexions, comme le rapport parents-enfants. Le père Karras inquiet au sujet de sa mère et Regan qui arrive dans l'adolescence, période de changements par excellence ; Regan qui se réfugie dans le lit de sa mère à la moindre occasion ; Regan qui se sent abandonnée par son père. La première partie est d'ailleurs construite en parallèle entre Damien Karras et Regan. Quand Chris amène sa fille faire une batterie d'examen médicaux, la mère de Karras est hospitalisée également.

A cette construction plus rigoureuse qu'il n'y paraît s'ajoute une belle description de l'adolescence. L'Exorciste pose la référence en la matière, recopiée des centaines de fois par la suite : l'adolescence perçue comme un traumatisme, comme une période de trouble, de perte d'identité, le tout montré sous l'aspect d'une possession démoniaque qui fait figure de passage à l'âge adulte. L'intelligence ici se retrouve dans le portrait assez juste de l'adolescente et surtout dans le désarroi de la mère face à toutes ces transformations et au malaise qui en découle.
Le malaise de Regan est d'autant plus fort que son père est totalement absent, absolument injoignable. Sa perturbation mentale est d'autant plus évidente à ce sujet que sa première victime sera Burke Dennings, celui qu'elle pressentait être le futur mari de sa mère.
Tout cela ménage des explications parfaitement rationnelles, ce qui est une des forces du film (dans cette première partie du moins).

Parmi les autres thèmes abordés, il y a le rapport entre science et religion. Il est intéressant de constater que la religion prend le relais une fois que la science a échoué. Ce sont d'ailleurs les scientifiques eux-mêmes qui proposent la solution religieuse, comme aveu de leur échec.
On peut voir là l'image d'un retour vers le passé, vers les racines où se trouverait la solution. D'abord dans les recherches archéologiques en Irak, un des berceaux de la civilisation, puis dans ce retour vers la religion, considérée comme plus primitive que la science. Une religion qui est absolument nécessaire pour échapper au malaise. Pour sauver Regan, certes, mais aussi (et surtout ?) pour sauver Karras, prêtre-psychiatre qui a perdu la foi et qui semble la retrouver dans cette épreuve.

Autant de choses qui sembleraient donc mener à un bon, voire un très bon film. D'autant plus que la mise en scène, pendant 1h20 environ, évite les gros effets choc. L'emploi de la musique et de la bande son en général est absolument génial et contribue fortement à l'ambiance terrifiante du film.
Et puis, arrive la seconde partie du film. Environ trois quarts d'heure qui détruisent absoluement tout ce que Friedkin a construit jusque là. Des effets lourds, des trucages approximatifs, mal foutus et insistants, de la vulgarité, la disparition de tout le système de réflexions installé jusque là, une actrice gamine au jeu très approximatif lui aussi, un final tiré par les cheveux, et un maquillage d'un ridicule fini.
En bref, j'ai du mal à croire que cette fin fait partie du même film. Autant j'ai été à la limite de la peur dans la scène d'ouverture en Irak ou dans certaines autres scènes du début, une peur d'autant plus efficace qu'elle est discrète, autant cette fin grand-guignolesque m'a laissé de marbre et jette, retrospectivement, une mauvaise image sur l'ensemble du film.
Si L'Exorciste avait continué sur sa lancée, il aurait pu être un bon film de terreur (même s'il n'atteindra jamais le niveau de La Maison du Diable, par exemple). Là, il devient juste un essai échoué, une tentative inaboutie. Friedkin aurait mieux fait de rester dans le domaine du polar, deux ans après le formidable French Connection.
SanFelice

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