Mini rétrospective Hitchcock et donc mini chronique.
Fait rare dans la carrière d'Hitchcock, le film eut droit à son remake, par le cinéaste lui-même, 22 ans après sa sortie initiale en 1934. Comme le rapporte le toujours savoureux Jean-Pierre Dionnet dans les suppléments de l'excellente édition blu-ray et DVD chez Elephant Films, Hitch considérait le premier film comme celui d'un "amateur doué". Un hitch sévère avec lui-même comme les nombreux entretiens avec Truffaut l'ont prouvé et une assertion qu'on peut tout à fait remettre en cause. C'est ce que fait Dionnet et ce que je fais également car le spectacle est largement à la hauteur. De l'amateurisme comme ça, j'en mangerais bien tous les jours hein !
On est alors en pleine période Anglaise chez le cinéaste, par opposition certes à sa période américaine à venir et plus grand spectacle mais aussi parce qu'alors, ses films peuvent se faire l'écho de préoccupations sociales qui disparaîtront au profit d'un traitement accéré et plus direct du suspense.
Mais justement si j'adore cette période anglaise, outre parce que j'ai encore beaucoup à y découvrir là dedans, c'est parce que tous ses petits détails sont révélateur d'un grand tout qui forme le film. The lodger (Les cheveux d'or - 1927) par exemple, tourné quelques années avant et encore dans le genre du muet pour sa part, pouvait déjà être une peinture du prolétariat anglais et des petites gens et L'homme qui en savait trop n'y échappe pas non plus. Avec humour, Hitchcock dépeint le flegme so british de ses héros quand ce ne sont pas leurs travers (la secte des adorateurs du soleil où l'ami du héros suggère que c'est peut-être un club de nudistes !). Si on poussait plus loin, on pourrait presque même dire que Frenzy avec sa tamise, ses rues coupe-gorge et ses marchés est également un dernier adieu à cette Angleterre des gens simples ?
C'est l'époque des complots et des agents secrets où déjà l'homme simple (et la femme ici car bien plus que le titre ne le laisse supposer, c'est une histoire de couple qui est à l'oeuvre, la femme se déplaçant quand son mari est retenu prisonnier et vice-versa) est mis en avant, emporté dans une machination plus complexe où il n'est qu'un engrenage certes, mais capable de faire dérailler toute la sale machinerie.
C'est la période des espions où d'une certaine manière comme Powell et Pressburger, Hitch paye son tribut à une Angleterre qui pressent la montée du danger nazi ainsi que son attaque pendant la seconde guerre mondiale (de 34 à 46 avec Les enchaînés, pas loin de 8 films avec des espions et parfois le danger bien réel du national-socialisme, ach !).
Et évidemment dans tout ça, il faut un méchant.
N'était-ce pas Hitchcock qui déclarait "plus le méchant est bon, meilleur le film sera" ?
Or ici, on a Peter Lorre et quel méchant fait-il ! Divinement sadique, élégant, raffiné, on s'intéresse dès lors presque plus à lui qu'aux héros du film. On finit par guetter Lorre à chacune de ses apparitions, on se pourlèche les babines. Chez Fritz Lang, en pédophile schizophrène (oui, oui) dans M le maudit, on avait presque pitié de lui. Ici on a presque envie d'être son pote, c'est dire.
Car l'acteur aux yeux globuleux sait en imposer.
Et mettre même une dose d'humanité quand il joue du mauvais côté. C'est cette scène où il se fige et manque de fracasser la gueule du héros avant de reprendre ses manières raffinées. Où vers la fin dans l'assaut final qu'il tient dans ses bras une collègue de crime qu'on comprend avoir probablement été sa compagne (à moins qu'elle le soit toujours) et qu'elle meurt à ses côtés. Il y a dans cette scène toute la profonde résignation humaine (pardon de spoiler un peu, c'est rare mais voilà, c'est une des meilleures scènes du film hein).
Bref ce n'est nullement manichéen et c'est aussi pour ça qu'on aime Hitch.
Un très bon Hitchcock une fois de plus dans une filmographie peuplée constamment de pépites !