Avec Le major sorte de polar défaitiste, Youri Kykov filmait déjà la fuite en avant d'un homme qui aura pris une mauvaise décision et de l'engrenage dans lequel il plongera, pour nous interroger sur nos propres décisions et nos responsabilités, face à un drame.
Il pointait une loi en défaut et jouait du polar que l'on retrouve dans son troisième long métrage, l'Idiot.
Paysages enneigés et froids, rythme lent et clins d'œil au film de genre, la mise en scène s'affine mais le style reste présent, sombre et pessimiste et ne laisse aucun doute sur la vision du réalisateur sur son pays. Plans de caméra, lumière et musique renvoient au malaise constant d'une Russie en plein marasme. Ses plans d'une ville tout de gris, de banlieues dévastées et de routes désertes, d'échappées alcooliques et de crises familiales apportent au récit un tension permanente,


Youri Bykov continue à portraitiser la corruption à tous les étages, mais aussi l'indifférence d'un peuple à ses propres souffrances, que ce soit les habitants de l'immeuble ou la propre famille du jeune technicien, déjà en équilibre instable, d'autant plus impactée par sa décision à alerter d'un danger imminent pour la population. Chacun en prend pour son grade et le réalisateur réussi un portrait objectif des comportements humains face à la misère sociale.


On suit une sorte de déambulation mentale et de choix à prendre pour un jeune plombier, qui tentera d'alerter la Mairie et ses fonctionnaires sur la chute d'un immeuble de 800 personnes dans une banlieue minée par les pots de vins.
Filmé sur une seule nuit, cette avancée vers le point de non retour, cette plongée plus cauchemardesque encore, dans le monde d'une élite qui se rêve à leur échelle, maître de ces lieux insalubres, tout en étant eux-mêmes emprisonnés dans leurs malversations, se serrant les coudes pour certains, n'hésitant pas à en sacrifier d'autres, où la moralité qui n'en a plus que le nom, rappelle à l'actualité du gouvernement Poutine qui continue lentement mais sûrement sa politique de l'inégalité tout en donnant un aspect intemporel à son drame humain. Un chemin de croix, un peu à l'image de cette soirée interminable du film After hours de M.Scorcese. .


De cette dénonciation, il ressort un état des lieux désespéré qui évite pourtant de diaboliser pour autant tous ces personnages, de ce clan mafieux de fonctionnaires et leurs rapports faussés, à ces habitants désœuvrés,vivant d'expédients, et régis par la violence, le cinéaste décrit avec justesse la faiblesse et la démission des hommes, avec leurs fulgurances de crise de conscience qui ne tiendra pas face à l'intérêt personnel et qui amènera aux stratégies de survie les plus extrêmes, dans le déni le plus total et la débandade assumée.


Youri Kykov signe un exercice d'une maîtrise parfaite dans son rythme, fragmente son récit, et joue d'un suspense constant, pour un enchaînement de situations annonçant la catastrophe à venir, et qui atteint son apogée dans la scène finale.


A l'instar du film Leviathan de Andreï Zviaguintsev, qui pointait les abus de pouvoir, les cinéastes russes d'aujourd'hui ont le mérite de nous proposer de véritables pépites sachant allier la réflexion au visuel.


Artem Bystrov retranscrit avec une belle sobriété la volonté, la colère, une certaine perplexité et une inquiétude grandissante, face à sa situation délicate. Il n'est pas un héros, pas plus un idiot, même pas un doux rêveur, mais un technicien compétent qui en toute logique aura fait son travail. Etre lanceur d'alerte, reste un métier à risque.

limma
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le 4 août 2019

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