Neuf ans après avoir dépeint le portrait du gangster idéaliste et hystérique avec Scarface, De Palma revient aux manettes du film maffieux, toujours avec ce formalisme classieux et novateur, point d'orgue de son œuvre, mais en aborde cette fois-ci la part mélodramatique avec ce portrait d’un homme sur la voie de rédemption, que son passé rattrape en permanence, comme s’il s’agissait d’une évidence. Carlito Brigante, même son nom l’enferme dans sa condition, est le pendant méta de Scarface, il entame une sorte de chemin inverse, et semble accrocher à cette idée, comme s’il tentait de racheter les fautes de son personnage éponyme.


Avec toujours cette incroyable capacité à produire un cinéma littérale, induit par son rapport à l’image, et de ce fait en faire un vecteur pour sa construction narrative, il n’utilise cette fois que très peu les effets de style (split-screen, grandiloquence à connotation baroque), pour se laisser galvaniser par ce portrait à la limite du mélo, le générique finale incarnant à lui seul la portée mélodramatique de cette caractérisation.


Niveau casting, si l’on fait abstraction du personnage principale à qui un Pacino sobre et mélancolique vient apporter une touche à la fois classieuse et profondément humaine, on retrouve un Sean Penn, impressionnant, que De Palma a eu l’excellente idée de transformer physiquement. En avocat machiavélique avec sa coupe de caniche, afin que ces excès ne se remarquent que par sa composition, sans jamais qu’il s’expose par ses mimiques habituelles, ou comment judicieusement masquer ses trop-pleins par une transformation physique. A noter la présence d’un John Leguizamo toujours excellent, je pense personnellement que cet acteur a été injustement sous-exploité dans le cinéma américain, se contentant souvent de rôles secondaires, si l’on fait abstraction de son extraordinaire composition outrée dans le Summer Of Sam de Spike Lee.


Le travail d’écriture de David Koepp, dont De Palma bénéficiera de nouveau sur Mission : Impossible et Snake Eyes, est remarquable. Il s’agit probablement de l’un des films les mieux structurés, en ce sens, du réalisateur d’Obsession et Pulsions. A la flamboyance et l’hystérie de Scarface, il préfère la voie crépusculaire et tragique, pour nous offrir une grande œuvre mélancolique, une sorte de quintessence du cinéma d’un grand ordonnancier du style, qui vient se poser pour narrer l’inévitable chute de Carlito Brigante, ex-gangster qui n’aura de cesse de courir, en vain, après sa propre rédemption, comme si le chemin du crime ne connaissait qu’une issu, celle de voir comme dernière image, ses rêves de passions amoureuses, en filigrane sur une brochure de voyage pour des paradis exotiques.


Et pour finir, je reste de plus en plus persuadé que Brian De Palma est un grand cinéaste spirituel.
Le personnage de Scarface se prenait pour Dieu, mais a fini dans les flammes de son propre enfer. Quant à Carlito Brigante, il serait une sorte de Scarface qui n'a pas eu une mère castratrice et qui prend le chemin de la rédemption avec un certain fatalisme et un évident clin d'oeil, il repart vers sa terre natale. La preuve, il meurt dès le générique de début. Il a compris qui était son unique maître...


Avec Scorsese, De Palma est l'autre grand cinéaste de la rédemption. Mais quand Scorsese te pardonne avant de te sanctionner, De Palma te balance à la baille et te pardonne ensuite! :)

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le 10 janv. 2022

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