Personnalité controversée doté d'un talent de metteur en scène incontestable, Mathieu Kassovitz a eu une carrière en dent de scie depuis son Chef d'œuvre, le génial La Haine : entre quelques séries B sympathiques (Les Rivières Pourpres et dans une moindre mesure Gothika), un film loin de faire l'unanimité (Assassins) et le ratage total de ce qui devait être son métrage le plus personnel et le plus ambitieux (Babylon). Particulièrement dégoûté par cette expérience (on le comprend même si il a tendance à nier sa part de responsabilité dans l'échec du projet), le bonhomme est revenu en France s'atteler à la mise en image d'un script qu'il murit depuis plus de dix ans : l'Ordre et la Morale. Une œuvre moins coûteuse que Babylon AD mais tout aussi risquée et beaucoup plus ambitieuse.
Ainsi, le nouveau film de Kasso n'est rien de moins que la première VRAIE proposition de cinéma politique vue en France depuis des lustres ! En effet, si l'on excepte quelques notables exceptions (L'Ennemi Intime, Une affaire d'Etat, etc.), l'histoire de France au cinéma fait rarement référence à des événements récents ou/et peu glorieux et se résume trop souvent au siècle des lumières, au moyen-âge et à la seconde guerre mondiale.
De fait la démarche de Kassovitz apparaissait donc comme particulièrement courageuse de part la nature d'un sujet méconnu du grand public et dont le caractère éminemment brûlant a rendu le montage financier du film difficile et lui a valu l'hostilité de l'armée Française mais aussi celle des élus Calédoniens.
A l'arrivée et malgré un processus de création compliqué, le film est bel et bien là et s'impose comme un très grand moment de cinéma dont la réussite tient surtout à l'engagement de son réalisateur.

Dans le genre particulièrement codifié du cinéma politique, l'Ordre et la Morale fait partie de ces très rares œuvres dont le réalisateur est totalement dévoué à la cause défendue dans le film. Ainsi, à l'instar d'un Oliver Stone dans JFK, Kasso Mouille sa chemise de bout en bout allant jusqu'à tenir le rôle principal du métrage. Le fait de se mettre en scène n'a ici absolument rien de narcissique (contrairement à la pourtant talentueuse Maïwenn) mais participe d'une volonté du cinéaste (qui livre par ailleurs une prestation impeccable) de se faire un témoin privilégié de ce drame politique et humain que fut l'incident d'Ouvéa.
Fort d'un scénario brillant, à la mécanique implacable, Kassovitz explore tous les tenants et les aboutissants de l'histoire tout en parvenant à cerner les dilemmes et les questionnements d'un homme prisonnier de son statut de soldat et confronté à la raison d'Etat. L'Ordre et la Morale en devient donc une œuvre profondément humaniste mais qui parvient à éviter le piège du manichéisme et ce même si le réalisateur prend fait et cause pour le peuple Kanak. Le film dénonce aussi bien les luttes de pouvoir au cœur de la machiné étatique et l'action brutale de l'armée Française que l'attitude très ambigüe du FNLKS Calédonien vis-à-vis des preneurs d'Otage.
L'ensemble est transcendé par la maîtrise technique d'un cinéaste qui n'a pas oublié de mettre la forme au service du fond notamment via l'utilisation de plans séquences époustouflants et d'effets de montages inédits dans un film Français. Ces partis pris de mise en scène audacieux empêchent le film de tomber dans le téléfilm de luxe et lui confère une identité visuelle forte même si le poids de certaines références prestigieuses se fait sentir (impossible de ne pas penser à Apocalypse Now).

Au final, les quelques défauts comme une interprétation parfois limite du côté des insulaires (en même temps vous connaissez beaucoup d'acteurs Kanaks vous ?!) à l'exception notable de l'excellent Iabe Lapacas et une scène d'assaut bordélique (une impression purement subjective), ne sont pas grand-chose au regard de la réussite de l'entreprise.
Kassovitz a réalisé son meilleur long depuis la Haine et une œuvre indispensable dans le paysage sclérosé du cinéma Français. L'échec du film en salle est donc rageant et témoigne malheureusement du peu d'intérêt des Français pour leur histoire immédiate....
Cela ne fait que confirmer une impression que j'ai depuis pas mal de temps : les films dits de « genre » (politique, action, thriller, fantastique, horreur, etc.) typiquement Français ne marcheront jamais à quelques rares exceptions parce que le public et les exploitants s'en foutent !
Diego290288
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le 5 déc. 2011

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Diego290288

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