« J’encule le cinéma français. Allez vous faire baiser avec vos films de merde. »

Partant d’un événement historique tragique de l’histoire récente de la Nouvelle-Calédonie, Mathieu Kassovitz, sans s’appesantir sur les enjeux sociaux, politiques et moraux de l’indépendantisme calédonien, se concentre dans L’Ordre et la Morale sur la négociation qui a suivi la prise d’otages. Sans tomber dans la facilité d’un thriller psychologique hollywoodien, et se focalisant quasi-exclusivement sur le point de vue subjectif du négociateur, son film s’impose surtout comme un film sur la confusion.
Les enjeux des différents groupes impliqués (ravisseurs, indigènes, otages, gendarmes, militaires, GIGN, politiques, FLNKS, journalistes…) sont brouillés tout au long du film. Loin de devoir choisir entre un quelconque ordre et une quelconque morale, chaque protagoniste semble prisonnier de son ordre moral ; ce sont ces cloisonnements qui empêchent le conflit territorial et indépendantiste de trouver une issue pacifique.
Ni réellement politique, ni platement historique, le film de Kassovitz est passionnant dans sa reconstitution (certes fantasmée) d’événements implacables, parfois absurdes, qui dépassent les personnages, et qui finissent par conduire à l’échec des négociations et à l’assaut meurtrier.
En s’attribuant le rôle principal du négociateur (sans doute pour des raisons marketing), Kassovitz investit entièrement son œuvre. Sans réellement faire l’acteur, il devient le spectateur du drame de l’intérieur, vivant et ressentant les événements, essayant de comprendre la mécanique de l’échec. Cela donne une force étonnante au film, habité en permanence par les doutes et les questionnements de l’acteur/réalisateur sur ce qui s’est réellement passé.
Cette confusion fantôme devient même concrète lors de l’assaut final – une scène mémorable où la caméra suit l’acteur/réalisateur et, comme lui, ne comprend rien (on ne sait pas qui tire, où on en est, qu’est-ce qui se passe,… , que déjà, brutalement, l’assaut est terminé).

L’Ordre et la Morale, malgré une propension, admettons-le, à se prendre pour Oui-oui fait de la politique (© Mme K.), s’impose comme un film de cinéma intense, vaste et hanté par les questionnements de son auteur.

Le film de Kassovitz propose en soit deux questions intéressantes :
1/ Quelle est la place d’un cinéma ambitieux en France ?
(car, oui, je ne l’ai pas dit, c’est implicite, mais la réalisation est impeccable, ample, habitée)
Vu comment Kassovitz est snobé depuis Assassin(s), la réponse semble malheureusement être Aucune. Le cinéma français actuel continue de respecter le cahier des charges tacite des chaînes de télévision : des comédies, des drames, des téléfilms inoffensifs, et surtout pas de cinéma.
La déclaration polémique de Mathieu Kassovitz aurait très bien pu figurer sur l’affiche de L’Ordre et la Morale, tant son film tranche avec le reste de la production française.

2/ Quel est le rôle du cinéma dans le débat politique ?
Chacun en pensera ce qu’il voudra, mais, de mon humble point de vue, le cinéma de fiction engagé, militant, dit « à messages », est une impasse, un non-sens. La fiction, tout en empruntant à la réalité, doit rester de la fiction et ne pas prétendre à autre chose. Le cinéma documentaire est là pour jouer ce rôle autre, même s’il trouve difficilement son chemin en salles et même à la télévision.
L’Ordre et la Morale, s’il est, sur la forme, un grand film de cinéma, est peut-être aussi abusif dans sa façon de vouloir jouer un rôle qui n’est pas le sien (mais, en ce sens, ce sont plus les propos du cinéaste, que l’œuvre en elle-même, qui posent problèmes, d’autant que le point de vue de Kassovitz, basé uniquement sur le témoignage du négociateur réel, apparait comme très unilatéral). Il me semble qu’il vaut mieux laisser de côté toutes les ambitions socio-politiques, réelles ou imaginaires, du film pour réellement l’apprécier pour ce qu’il est : du cinéma.
Arkady_Knight
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