Cinéma français et films de guerre ne font plus bon ménage depuis bien longtemps, je suis le premier à le déplorer. Aux rares exceptions de L’ennemi intime et Flandres dans la dernière décennie, rien de bien marquant à signaler. Souvent entièrement écrasés par le devoir de mémoire, manquant de profondeur, manichéens, ou encore utilisant le contexte afin de soutirer quelques larmes au spectateur à grand renfort de violons, le genre a été considérablement sous-exploité depuis des années. Après la débâcle que fut Babylon A.D., Kassovitz s’est attaqué à un projet plus personnel qui lui tenait à cœur depuis une dizaine d’année, raconter la prise d’otage de 1988 en Nouvelle-Calédonie. Alors, de quel côté des films de guerre français se retrouve-t-il ?
Une chose est certaine, Mathieu Kassovitz n’a pas choisi la facilité pour raconter son histoire. S’il incarne lui-même le capitaine du GIGN Philippe Legorjus, il a préféré s’inspirer du livre « Enquête sur Ouvéa » plutôt que du livre que le capitaine a écrit, « La morale et l’action », afin d’avoir une vision impartiale des évènements. Ainsi, on n’aura pas droit à une opposition « gentils kanaks/méchants français », puisque les faits sont relatés de façon méthodique et objective.
Après une introduction faite d’un remarquable plan séquence montrant toute la maîtrise de Kassovitz, flashback sur le début des évènements : le capitaine et son unité sont appelés en pleine nuit pour se rendre en Nouvelle-Calédonie et tenter de libérer les otages. Jusqu’ici, tout va bien.
Une fois le GIGN arrivé, les enjeux nous sont exposés très clairement par les forces de l’ordre locales : la prise d’otage était une boucherie, il faut mater ces sauvages par tous les moyens possibles. A partir de là, on entrevoit les différents points de vue sur la situation, entre habitants, armées française, rebelles et gouvernement, le discours varie énormément. Legorjus, qui est là pour libérer les otages sans effusion de sang, va voir très vite la situation lui échapper sans possibilité de retour en arrière.
Kassovitz réussit vraiment son coup sur le plan du scénario, critiquant intelligemment sans défendre qui que ce soit en particulier. La situation est terriblement complexe, entre les français détestés par les kanaks depuis la colonisation, le gouvernement français exerçant une pression terrible sur le GIGN et l’armée à cause du second tour des élections présidentielles survenant moins d’une semaine après, les rebelles terrés dans la forêt avec une vingtaine d’otages et les civils tiraillés entre deux camps. Inutile de raconter la suite, premièrement elle est connue, deuxièmement autant ne pas raconter tout le film.
Ce qui m’a le plus marqué dans le film est indéniablement sa mise en scène, pas forcément parfaite mais très ambitieuse, le montage sait prendre son temps, rester toujours lisible même dans la panique, et propose une poignée de plans séquence extrêmement soignés (notamment la prise d’otages et la fin). Je dois avouer que je n’attendais pas aussi bien de sa part et ce fut une très agréable surprise.
La musique est de plus utilisée de façon très judicieuse, Kassovitz ayant lui-même déclaré qu’il voulait tout sauf des musiques tire larmes sur son film. Au lieu de ça elles sont plutôt angoissantes, pesantes, mais relativement discrètes, un choix bienvenu sur ce genre de film. Le tout contribue à nous immerger dans la situation, ce piège tropical qui se referme lentement sur le capitaine, non sans rappeler par petits clins d’œil un certain Apocalypse Now.
Ce qui est plus présent dans le présent film que celui de Coppola, ce sont les supérieurs du capitaine, à qui il doit rendre des comptes (trop) souvent. L’inimaginable pression du second tour, dont on ne verra qu’un extrait de débat animé entre Mitterrand et Chirac (symbolisant à la fois l’incompréhension du problème réel par la France métropolitaine et par les plus hautes autorités), écrase de tout son poids le personnage de Legorjus. Sa marge de manœuvre est réduite au minimum alors qu’il lui faut du temps pour établir une relation de confiance avec les kanaks et pouvoir négocier la libération des otages. Coincé entre ultimatums, mensonges et menaces, il devra se résoudre à obéir aux ordres, même s’il sont contraire à sa morale.
Comme l’expliquait Kassovitz, si au départ il s’était imaginé Legorjus comme un héros « classique » de film de guerre, faisant preuve d’un déchirement intérieur et d’empathie envers ceux qu’il combat, il a découvert le contraire grâce à son livre. Etant militaire expérimenté, il avait en réalité fait son travail de la façon la plus professionnelle qui soit, et donc il a adapté son personnage en conséquence, le rendant souvent plus observateur qu’acteur. On ne connaît que très rarement ses pensées, et les réactions des uns et des autres autour de lui ne sont pas jugées, comme l’aurait fait un Indigènes (au hasard). Il n’y en a pas un qui a raison et un qui a tort, mais plutôt des multitudes de raisons et de torts chez toutes les parties engagées.
Après toutes les qualités que j’ai cité, on pourrait croire qu’on tient là le film de l’année, mais malheureusement non car le film est tout de même loin d’être parfait. Je ne retiendrai que trois gros défauts, mais qui suffisent régulièrement à se sentir un peu sorti du film. En premier lieu, la longueur du film, dont je me méfiais un peu avant le film, est excessive. Le film aurait pu durer une vingtaine de minutes de moins afin d’être plus concis et mieux rythmé. On sent une volonté d’exhaustivité, qui en soi n’est pas réprimandable, mais gêne un peu l’immersion car tout n’avait pas besoin d’être raconté.
Ensuite viennent les dialogues, qui si la plupart du temps sont assez bien écrits, sonnent parfois faux, un peu pompeux ou trop portés sur la formule qui fait mouche. Malheureusement s’ils sonnent faux, c’est souvent du au dernier défaut que je tenais à citer : l’emploi d’acteurs amateurs. Encore une fois la volonté est bonne, Kassovitz voulait impliquer les kanaks dans la réalisation du film, mais ceci ruine totalement la portée de certains dialogues tant l’amateurisme est flagrant.
Cependant je préfère ce genre de défauts dus à l’ambition du projet et la dévotion totale montrée par le réalisateur à son sujet, que des défauts à mettre sur le dos de la fainéantise. Le film est terriblement ambitieux, traite intelligemment et impartialement un sujet casse-gueule s’il en est, et montre une certaine virtuosité technique qui fait plaisir à voir. Malgré ses défauts, un film à ne pas rater pour découvrir une page sombre de notre histoire.