On était en 1969, et le monde avait changé. Le Cinéma avait d'ailleurs été, avec la musique, l'un des premiers Arts à prendre véritablement acte de l'ampleur du changement social, intellectuel et idéologique qui avait eu lieu au cours des deux années précédentes, de l'été des fleurs en Californie aux barricades parisiennes, en passant par les blindés soviétiques à Prague. Mais on était encore si près de la fin de la Seconde Guerre Mondiale, ce traumatisme qui mettrait plusieurs décennies avant d'arrêter de brûler l'inconscient des générations qui l'avaient vécu : en 1969, il était encore concevable de faire des films uniquement dédiés à reconstituer ce qui s'était passé sur le plan militaire, il y avait un public - principalement masculin - innombrable prêt à payer pour ça. Un public qui ne voulait pas s'encombrer de psychologie, et encore moins d'idéologie (les Boches étaient les Méchants, on était les Gentils, on avait gagné, ça suffisait largement). Un public qui n'avait d'ailleurs pas encore perçu l'ampleur du basculement sociétal qui venait de s'opérer...


"La Bataille d'Angleterre" était le film parfait pour ce public-là : les Anglais, à leur habitude (et ça n'a pas vraiment changé depuis), expliquaient au Monde émerveillé comment ils avaient gagné la guerre - ou du moins résisté grâce à leur intelligence stratégique et leur héroïsme décontracté à l'envahisseur aérien nazi. Il était question d'hommes - d'où un casting "all stars" brillant - mais surtout de machines - ces fameux, ces splendides Spitfires qui faisaient encore rêver l'enfant de douze ans que j'étais et qui rêvait de voler. Pendant les deux heures de "la Bataille d'Angleterre", j'avais donc vu des avions voler (de vrais avions, les effets spéciaux n'existaient pas, et vu de 2018, cela faisait une différence incalculable !) et se livrer à des combats aériens et des cascades magnifiques. J'avais pris mon mal en patience pendant que les personnages, que je trouvais tous ennuyeux, discutaient de plein de trucs qui me passaient au-dessus de la tête, en me demandant quand est-ce qu'ils allaient se taire et retourner à bord de leurs Spitfires. Je m'étais donc un peu ennuyé mais j'en avais aussi pris plein les yeux, même si je m'étais aussi rendu compte que ce n'était quand même pas un film bien intéressant.


A la sortie, je n'avais pas demandé à mon père qui avait commandé cette sortie au cinéma, comme toujours lorsqu'il s'agissait de films de guerre, ce qu'il en avait pensé. Tout simplement parce que ça ne se faisait pas, pas chez moi. Le changement, la révolution, eh bien, ce n'était pas encore d'actualité à la maison...


[Ecrit en 2018, à partir de souvenirs et de quelques notes prises en 1981]

EricDebarnot
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le 30 juil. 2018

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Eric BBYoda

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