Quatre à table. Le bel équilibre. Le couple parental, incarné par Nanni Moretti et Laura Morante, redoublé par le couple des enfants, un frère et sa sœur, Jasmine Trinca et Giuseppe Sanfelice. Cet équilibre parfait sera brisé par la mort du fils, soudaine et accidentelle. Des salles entières ont pleuré, face à ce film, Palme d'or à Cannes en 2001. Mais d'où vient le fait que l'on peut aussi ne pas être bouleversé, ni même ému ?

Tout d'abord, le premier temps pose la figure du fils sans lui donner d'épaisseur suffisante. Une vague histoire de vol au lycée est censée le caractériser, par ailleurs les rapports aux parents sont faits de rire, d'une entente avec juste ce qu'il faut d'éclats, mais ce dessin des liens familiaux tient plus de l'esquisse que du véritable portrait approfondi, qui viendrait souligner la singularité des êtres et leur caractère tragiquement unique et irremplaçable.

On en vient presque à attendre le moment de la disparition et à se fier au drame pour faire se lever enfin l'émotion si souvent évoquée au sujet de ce film. La perte irrémédiable se déroule dans la même indifférence anesthésiée. D'où vient que des réalisateurs savent si bien faire pleurer leurs actrices, comme Lars von Trier, dans "Breaking the wawes" (1996), avec Emily Watson, dont les larmes coulaient aussitôt sur nos propres joues, alors que d'autres, comme ici, parviennent tout juste à soutirer quelques grimaces singeant la douleur et n'éveillant, chez le spectateur, qu'un désagréable malaise devant des efforts aussi vains ? Même la chambre désormais privée de son occupant n'a rien de déchirant.

Mieux vaut ne pas s'étendre non plus sur l'image du psychanalyste que Moretti lui-même est censé incarner... Un manque de profondeur qu'un film tel que "Ana, mon amour" (2017), du roumain Calin Peter Netzer, ne peut que souligner cruellement. Sans parler de certaines invraisemblances dans les réactions du thérapeute imaginées par le scénario...

Illustrant cette distance, ce schématisme légèrement caricatural avec lequel sont abordés presque tous les points traités, la caméra reste généralement éloignée de ses sujets, ne s'approchant guère au-delà de plans de groupe.

Après toute la délicatesse d'un film tel que "La Messe est finie" (1985), on ne peut s'empêcher de se demander où est passée la belle subtilité de notre Moretti. Seules échappent, ici, à la déception, deux scènes, situées dans la seconde partie du film : celle, purement mentale et imaginaire, mais récurrente, par laquelle le père endeuillé ne cesse de tenter d'infléchir le cours de la journée qui fut fatale à son fils ; et la longue course nocturne, phorique, par laquelle le père est tout heureux d'accorder à celui qui a pris la place de son fils dans le cœur de sa fiancée le transport un peu fou qu'il ne sera plus jamais en mesure d'offrir à son descendant...

AnneSchneider
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le 20 juin 2017

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Anne Schneider

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