Les enfants ne mentent pas et les cerfs reviennent toujours...

Le masochisme de l'être humain peut être grand. En tout cas, le mien l'est certainement. Un peu comme lorsque je goutte un plat en train de cuire et que logiquement je me brule la langue, ou que je veux absolument toucher un cactus pour voir s'il pique et que, tout aussi logiquement, je me pique, j'ai regardé La chasse en sachant pertinemment qu'il était triste. Et donc, encore logiquement, je me suis retrouvée comme une idiote à pleurer devant mon écran.


Car il faut dire qu'avec ce film, on ne fait pas dans la dentelle, ni dans les bons sentiments. Le sujet est grave et traité comme il se doit.


En nous mettant face à la réalité, la chasse ouvre les yeux, fend le coeur et fait réfléchir.
Il est de notoriété publique que la vérité sort de la bouche des enfants. Toujours. Cet adage né du fait que l'enfance soit associé à la pureté et à l'innocence nous trompe malheureusement parfois, et les conséquences, comme nous le montre le film, peuvent être terrible.
Car si la parole des enfants est considérée comme sacrée, on en oublie au passage que leur petites cervelles ne sont pas celles d'adultes. Les choses, les gens, les actes, ils les perçoivent différemment, sans forcément tout comprendre et sans forcément compartimenter ce qu'ils perçoivent.


Ainsi, la petite Klara, frustrée que Lucas la "rejette" (car le refus du bisou et du cadeau sont clairement vécu comme un rejet de la part de son "héros") va dire des "bêtises" pour se venger. Ayant entendu des mots qu'elle n'a pas comprit -et qu'elle n'aurait d'ailleurs pas dû entendre- elle va les ressortir au hasard, dans un élan de colère. Tout comme un adulte pourrait traiter son ex de pute ou de pervers. De la frustration, des mots en l'air pour apaiser le chagrin. La différence avec les enfants, c'est que comme ils prennent tout au pied de la lettre, nous avons tendance à prendre tout ce qu'ils disent de la même manière.
Et comme les actes de pédophilie existent bel et bien, la défiance s'installe immédiatement. En voulant trouver des explications, les adultes peuvent alors influencer les enfants. Ceux ci diront parfois ce qui fait plaisir à l'adulte qui l'interroge, pour faire plaisir ou ne pas se faire gronder. D'autre fois, l'adulte met des idées dans la tête de l'enfant sans même s'en rendre compte.
C'est le cas ici avec la petite Klara. Se rendant compte de sa bêtise, elle se retrouve coincée. Face à un homme qui lui parle de zizi et de liquide blanc qui en sort (implantant ainsi sans même s'en rendre compte l'idée dans sa petite tête), elle ne sait plus comment réagir. Face à sa mère qui lui affirme qu'elle a bien été abusée mais que son cerveau essaye d'oublier la chose, elle se met alors à chercher des souvenirs qui n'existent pas.
Mettez l'enfant dans un groupe, cherchez le mal et posez les même questions, l'enfant finira fatalement par créer des semblables sans le vouloir. Car en alliant imagination et désir de conformité, on peut finir par obtenir de beaux mensonges bien synchronisés (tels que le sous sol de Lucas).
Et pendant tout ce temps, l'enfant étant sacré, la masse s'acharne contre le présumé coupable de telles atrocités.


Lucas, ami fidèle et serviable qui voyait sa vie s'embellir, se retrouve alors malgré lui dans une spirale infernale. Ignorant de ce qu'on lui reproche, il doit affronter ces reproches. Persona non grata, il ne peut même pas comprendre ou expliquer. Il est coupable, point. Jugé innocent ? C'est que la police à mal fait son boulot et qu'il faut se faire justice soi même. Les victimes collatérales ? On s'en fiche un peu. Si le fils doit être blessé, ce n'est pas bien grave. Tuer un animal pour faire passer un message ? Broutille tant que le monstre est punit.


Ceci dit, en regardant ce film, il faut bien se garder de faire comme cette horde révoltée sous peine de se trouver à leur niveau.
Car lorsqu'un enfant vous dit "il est méchant et a un zizi tout dur", la chose n'est pas innocente. Cette idée, il l'a forcément dégotté quelque part. Et lorsque l'on se trouve face à un enfant, l'instinct protecteur pousse naturellement a être sur ses gardes. La première réaction de la directrice du jardin d'enfants n'est d'ailleurs pas insensée. La crise est simplement mal gérée. Et lorsque la violence s'ajoute à la défiance...
Qui na jamais ressentit de colère ou regardé d'un oeil méfiant un inconnu en apprenant qu'il avait peut être commit une horreur ? Moi même, si un(e) ami(e) me dit "untel m'a blessé", ma première émotion sera la colère, l'indignation. Difficile lorsque l'on est dans l'émotion de chercher des explications.
Difficile alors, en étant honnête, de juger la colère des parents de Klara ou de leurs amis.


La Chasse nous montre ainsi les difficultés qui se présentent face à ces cas de pédophilie présumées. Qu'elles soient ou non avérées, les accusations ont des conséquences et doivent être traitées avec des pincettes. Car si l'enfant a bien été abusé, il va de soit que le coupable doit être punit.
La prudence dans la manière dont on parle à l'enfant, dont on écoute sa parole et dont on parle communique avec la famille est primordiale.
De même que la manière dont on traite le suspect.
Car ne l'oublions pas, même si les circonstances ne sont pas les meilleurs, Tout Homme est innocent tant qu'il n'a pas été reconnut coupable devant un tribunal.
La question est alors : dans le doute, vaut il mieux frapper, détruire un individu et sa famille quoi qu'il arrive, au risque de s'en prendre a un innocent ?


À travers ces questions délicate et ce cas qui n'a rien d'extraordinaire, La Chasse nous offre de belles réflexions et une bonne claque en pleine figure.


L'histoire est soutenu par des acteurs fabuleux. La petite Klara, interprétée avec brio, incarne l'innocence de la jeunesse à merveille et son côté tristounet et trop songeur pour son âge sont très efficace.
Mikkelsen quant à lui, est simplement magnifique. Homme à la tour à tour jovial, timide, déterminé et perdant pied, il incarne Lucas avec une sensibilité parfaite. Notons au passage le final absolument magnifique présentant le retour des cerfs dans tout son réalisme.


L'image et la musique, très épurée, contribuent elles aussi à la gravité et à la réussite du film.


Un drame parfaitement maîtrisé donc, grave et sombre qui n'a pas besoin de pathos pour faire pleurer dans les chaumières et se contente de montrer les choses sans atours. Un chef d'oeuvre sur un sujet difficile, à ne pas louper.

Créée

le 8 mai 2016

Critique lue 212 fois

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Gaby Aisthé

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