Neil Jordan (Entretien avec un Vampire), propose ici une version réarrangée et réinterprétée de différents contes classiques, avec en point d'orgue, le fameux Petit Chaperon Rouge.
Autant le dire tout de suite, ce n'est pas pour nous en donner un énième version niaise et sans saveur. Oui, il y a une jolie jeune fille innocente (mais pas tant que ça ...), et des loups-garous, mais toute ressemblance avec un roman à succès récent s'arrête là. L'oeuvre présente est bien plus noire, gothique, et subversive.
The Company of Wolves débute par la course d'un chien-loup dans le bois d'une propriété champêtre. La scène est manifestement contemporaine, les châtelains arrivent dans une automobile neuve, mais l'état de délabrement de leur demeure, et la robe un peu surannée de leur fille crée déjà un décalage temporel. Progéniture qu'ils envoient quérir leur autre rejeton(e). Celle-ci dort profondément. Bientôt, nous plongerons avec dans ses rêves, peuplés de loups, de grand-mères (trop) prévoyantes et de villageois arriérés.
L'onirisme est le deus ex machina parfait pour procéder à une démolition en règle des contes revisités par la morale chrétienne, et à une pensée faîte de dictons dépassés. On admirera ici le personnage de la "granny" campé par l'inénarrable Angela Lansbury. Si l'on doutait de l'absurdité, on trouve la clé de son rôle lors de sa dernière scène : décapitée par le loup (bon, on s'éloigne fortement du conte tel qu'on l'inflige aux enfants, mais il y a des restes tout de même !), elle vole en éclats, telle une poupée de porcelaine creuse.
Chargé d'érotisme, érotisme féminin en particulier, le film est, si j'ose dire, le théâtre d'un jeu sensuel dont les caractères du sexe dit faible sortent bien souvent vainqueurs. Neil Jordan et Angela Carter donnent toute sa vigueur à une sexualité féminine aussi conquérante que celle des hommes. Témoin cette scène entre Roseleen et le loup, où la jolie jeune fille séduit sûrement plus le loup qu'elle n'est séduite elle même. Car elle ne demande pas mieux que de sortir du chemin qu'on a tracé pour elle, sans lui demander son avis, de s'affranchir d'un carcan oppressant de morales désuètes.
Mais mieux vaut le voir qu'en parler. Ou au moins le voir avant d'en parler. Car c'est un vrai moment de réjouissance. Filmé avec style (Neil Jordan a un vrai talent pour les décapitations : celle du premier loup, celle de la grand mère ... cet homme à loupé sa vocation sous la Révolution), monté avec du rythme, sans nervosité excessive, la forme enthousiasmante (on retrouve au passage David Warner, qui fit quelques apparitions chez Peckinpah) sert un fond rafraîchissant.