Un final marqué par un jeu langoureux de 3 minutes qui en dit long, à la fois sur l’audace dont fait preuve Kim Chapiron avec la crème de la crème, mais aussi sur la maladresse, avec laquelle il déroule sa critique acide d’un monde binaire, régit par un carnet d'adresse bien fourni et quelques billets verts. Un fatalisme particulièrement vicieux qui rend bien compliqué la place du sentiment amoureux : entre mariage intéressé et amour coupable, difficile de s’y retrouver. Une dernière séquence qui tente de répondre par la passion, presque hors du film mais qui le caractérise pourtant complètement.
Pourquoi ? Parce que ce conseil de discipline, qui est censé être l’un des moments les plus tendus du film, est aussi chaotique qu’a pu l’être toute la démonstration de Kim Chapiron. Morcelé, il contient à la fois le meilleur —le lâcher prise des deux amoureux—, et le pire de ce film, à savoir cette illustration froide et clinique d’une sentence qui sent bon la caricature. Mais aussi parce que le moment le plus intéressant de La crème de la crème, ce simple passage d’une trentaine de seconde opposant le directeur de l’école et les 3 apprentis proxénètes, est éludé sans autre forme de procès par un cinéaste qui a tellement la tête dans le guidon qu’il ne parvient plus à faire la part des choses, entre ce qui peut est potentiellement vecteur de sens, et ce qui n’a trait qu’à une volonté presque romantique de proposer quelque chose de nouveau.
Pour ces raisons, il est aussi difficile de s’emballer en fin de séance, devant cette proposition bancale qui fonctionne à coup d’insolents clichés (le recrutement des filles est assez surréaliste, le passage dans l’école d’ingénieur gerbant au possible et l’amourette porteuse d’espoir digne de cahier intime de Charles Ingals) que de rejeter cette proposition si singulière tant elle fait l’effet d’une une bouffée d’air frais revigorante qu’on aimerait offrir plus souvent à nos poumons nécrosés par des films français qui se contentent généralement de radoter.
Parce que isolées de leur contexte, certaines séquences de La crème de la crème parviennent à se faire une place au soleil, comme ce trip collectif sous MDMA qui sonne comme l’apothéose de la belle osmose qui s’est jouée à l’écran entre Thomas Blumenthal, Alice Isaaz et Jean-Baptiste Lafarge. Mais dans le même temps, Kim Chapiron se laisse happer par la critique un peu facile, sort les beats agressifs et la carte du guide Jack Daniels des meilleures soirées étudiantes avec la subtilité d’un barbecue nourri au lance flamme.
Comme s’il avait voulu tellement en dire, tellement en faire, qu’il s’est perdu dans ses pensées et a fini par les illustrer, une à une, avec la rigueur d’un automate. A tel point qu'il en oublie le côté sulfureux de son cinéma, faisant de La crème de la crème un film bien sage eut égard à son sujet, dont on pouvait espérer un traitement plus borderline.
Et pourtant, malgré l’équilibre instable de son dernier film, on reste tout de même enthousiasmé par cette si précieuse force de proposition que possède Kim Chapiron. Espérons qu’il parviendra enfin à la canaliser, et qu’il s’attardera, dans le même temps, un peu plus sur sa mise en scène —qui manque un peu de tempérament ici—, lorsqu’il lancera son prochain pavé dans une marre qui, pour le moment, est encore un peu trop typée « contre culture tendance » pour pleinement me convaincre.