Un film de pucelle qui effleure les limites sans être vraiment rock'n'roll
Je n’ai jamais vu « Sheitan » au-delà de la bande-annonce (j’assume) mais « Dog Pound » avait été une bonne surprise. Au delà de la violence, le film était porté par sa distribution, notamment Adam Butcher, qui donnait à son personnage une consistance à la fois poignante et révoltante. Au moins, une identité, une psychologie.
Cela faisait un moment que je voulais voir « La crème de la crème ». L’espoir de voir un film impertinent, troublant, transgressif. Brutal ? Certainement, vu le CV de Kim Chapiron. Je ne cache pas ma déception.
Dan, Kelly et Louis sont trois étudiants d’une grande école de commerce. Ils sont le haut du panier, la future élite. Ensemble, ils montent un commerce fondé sur la plus élémentaire des lois du marché : l’offre et la demande. Leur but ? Aider les étudiants les moins beaux et les exclus à revaloriser leur cote auprès des filles, transformant ainsi le campus en laboratoire d’étude et lieu de perdition.
De ce synopsis, le spectateur pourrait attendre une comédie à l’américaine, mais ce qu’il découvre est tout autre. En réalité selon moi, « La crème de la crème » est plutôt une sorte de remake des « Beaux Gosses » (Riad Sattouf), version jeunesse dorée et hautes études. Pour résumer, des loosers un peu moins loosers, mais des loosers quand même.
Drôle pour un film sur la vie des étudiants de ne voir aucune séquence de cours. Aucune relation élève / professeur. Aucune substance moralisatrice. En fait, la grande école n’est qu’un prétexte, car « personne n’est là pour aller en cours, mais pour networker ». Dommage dans ce contexte de dire et répéter à tout va que nos trois héros sont là « la crème de la crème » et ainsi prétendre faire un long-métrage sur les étudiants de ces établissements de renom. Rien, absolument rien pendant 85 minutes ne les distingue des autres, en dépit de leur argent, qu’ils n’ont même pas l’indécence d’étaler à vue. A peine deux billets de 20 euros pour acheter les services d’une vendeuse de supermarché. Où est la décadence ? Kim Chapiron laisse ainsi ses personnages perdus, échoués, dans une société qu’ils voient déformée, sans jamais intervenir.
Mais alors, quel est le véritable sujet du film ? De faux bons élèves qui se prétendent doués mais qui pourtant font l’erreur fondamentale d’adapter les théories mercantiles au genre humain. Et montent ainsi, un peu par hasard, un réseau de proxénétisme. Sous couvert de s’exprimer avec le jargon professionnel, l’équation est simple : créer de la valeur et faire monter la cote. Le pari aurait pu être audacieux et voire même intéressant si toutefois le réalisateur avait injecté à son long-métrage quelques piquantes démonstrations pratiques, ce qui n’est pas le cas.
Love, sexe et rock’n’roll ?
Si le film pouvait au minimum se targuer d’être un peu rock’n’roll, mais il effleure les limites sans être tout à fait « jusqu’au-boutiste ». Un film de pucelle, qui met une scène une lesbienne qui ne l’est pas, des scènes de sexe à peine coquines, de la drogue qui ne dégouline pas (le type se renseigne sur les effets de la MDMA sur Wikipédia, surréaliste) et surtout : des histoires d’amour aussi clichés que pathétiques.
Un arrière-goût de « Jeune et Jolie » (François Ozon), où la prostitution n’a de raison que la valeur humaine, mais où l’argent n’est qu’un détail. Au moins Emmanuelle Bercot en faisait un moyen, contestable mais pas négligeable dans « Mes chères études ». Ici les fils à papa n’ont aucune conscience morale, aucune dignité, symboles d’une société consumériste. Puisque tout s’achète, achetons. Entretenons l’offre et la demande.
Ma petite entreprise (connaît pas la crise)
Comme le chante Alain Bashung » Épanouie elle exhibe / Des trésors satinés / Dorés à souhait ». Le film de Kim Chapiron semble plus inspiré finalement de cette chanson que par l’envers du décor des grandes écoles. « La crème de la crème » ne cherche pas à lever un tabou, ni même à transcender la réalité : il l’habite, grossièrement, la travestie. Le film se range du côté des moches, ne cherche pas vraiment à ressembler aux beaux, ni même à s’en dissocier réellement. Bref, c’est un pauvre strass qui s’imagine être un diamant.
Pour aller plus loin sur la drogue, le sexe, l’alcool et la débauche des grandes écoles, il est certainement plus utile de regarder « Enquête exclusive » (M6) que le film de Kim Chapiron, qui n’apporte dans « La crème de la crème » aucune morale, aucune vision artistique. Quel regard le réalisateur pose-t-il sur tout cela ? Quelle est sa conclusion ?
Je note 2/10 car en dépit de sa vacuité, je n’ai pas trouvé le film complètement désagréable à regarder. Le trio n’est pas très crédible (le beau gosse qui se lie d’amitié avec une lesbienne et un beauf ….) mais leur côté faussement intello les rend délicieusement ridicules et fait suffisamment monter la mayonnaise pour assaisonner le scénario et lui donner un peu de corps. Gras et visqueux d’accord, mais du corps quand même.