Je suis stupéfaite face à ce film déroutant, à la fois profondément émouvant et néanmoins profondément ennuyant. Joachim Trier ne manque pourtant pas de matière, additionnant les sujets. On parle alors de la puberté de Conrad, de la violence psychologique du métier d’Isabelle, du baby-blues de Jonah – jeune papa, ou encore des complexités de l’amour. Tout cela sur fond de crise familiale, cellule souche de toutes ces pathologies scénaristiques. Mais dans le fond, de quoi parle-t-on vraiment ? Le deuil, motif dominant, s’oublie parfois au profit d’un « simple » malaise adolescent. « Back home » – au départ intitulé « Plus fort que les bombes » et renommé suite aux événements du 13 novembre 2015 – est comme un électron libre, anarchique, ayant tant de choses à dire et si peu de temps pour tout raconter. Comme son (nouveau) titre le suggère, il s’agit d’un film de mémoire. La temporalité y est donc un fil rouge, où chaque souvenir s’imbrique dans une chronologie décalée. Ce genre de film où il faut rester particulièrement concentré pour en saisir les moindres subtilités.


Le film pèche par son décalage entre l’intensité des blessures familiales et les choix de mise en scène, assez peu spectaculaires. D’abord parce que le cocon que nous propose Trier est éclaté en milliers de petits éclats d’individualité. « Back home » est avant tout un lent voyage au bout des solitudes, suivant tour à tour le père, la mère (éminemment présente malgré sa disparition), l’aîné et le cadet. Quatre destins coincés dans un entre-deux permanent, jamais tout à fait à l’aise ni là ni là-bas. Une famille incapable de communiquer donc, qui, derrière le portrait idéal, s’effrite jusqu’à la vérité : plus pesante encore que la mort, celle, irrattrapable, d’une cellule familiale soudée. Les souvenirs sont mouvants, se reconstruisent au fil du passé qui resurgit. Le film invite ses personnages à une auto analyse de leur propre mémoire, pour y extraire la « vérité vraie », celle qui était jusqu’alors invisible.


L’absence est paradoxalement omniprésente. Alors Trier traque les visages, privilégie les plans serrés, dans une réelle volonté de connivence avec les personnages. Il réussit alors à nous faire aimer, un peu, ces êtres fantasmagoriques, fugaces, comme l’est le fantôme d’Isabelle, à présent « rentrée à la maison » pour toujours. Le plein cadre sur son visage, dans ce qu’il a de plus naturel, n’est pas sans me rappeler celui de Catherine Breillat dans « Abus de faiblesse » , ou de Chabrol dans « Merci pour le chocolat » : définitivement, Isabelle Huppert a ce quelque chose de « cinémagénique »…


Joachim Trier montre une volonté de bien faire, et le prouve pas une qualité d’image remarquable. La colorimétrie froide est soignée, la photographie appliquée (heureusement, c’est aussi le sujet du film), les effets de style appropriés, toujours justes. « Back home » est une partition sans fausse note, une mélodie beaucoup trop conventionnelle pour nous saisir, alors même qu’on nous promettait quelque chose de « plus fort que les bombes » (selon son titre original). Quelques moments de grâce ponctuent le film d’une étrange douceur, comme ce père qui, pour renouer le dialogue avec son fils, se crée un avatar pour le rejoindre dans un jeu vidéo. Ou quand la violence des jeux se superpose à la réalité, et transpose la guerre (terrain d’Isabelle) dans un autre espace temps … Au final, plutôt un pétard qu’un obus.

babymad91
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le 29 nov. 2015

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