Jodo, je le connais depuis que je suis gamin. Mes parents, fanas de bande dessinés, possédaient cette série, dont je ne comprenais pas un broc mais qui me fascinait : Face de Lune, dessinée par Boucq et scénarisée par un certain Jodorwsky. Plus tard, chez mon oncle, je dévorais avec autant d'assiduité la fameuse saga SF de Moebius et d'un certain Jodo, L'Incal. Plus tard encore, je lisais La Folle du Sacré-Coeur, écrit par deux noms qui étaient désormais dans un panthéon de personnalités à qui j'accordais toute mon admiration. Des thématiques commençaient déjà à se dégager.
Puis je m'intéressais un peu au cinéma et découvrais à travers la vague des Midnight Movies le culte El Topo, que j'enchaînais avec La Montagne Sacrée. Je m'essayais un peu à lire La danza de la realidad pour mieux comprendre le bonhomme, je tentais le maladroit et Fando et Lis, et enfin, hier, je regardais La danza de la realidad, adaptation fictionnelle de l'autobiographie que je n'avais pas terminé.


Jodo, pas de doute quand au fait que c'est un auteur. On retrouve chez lui toujours les mêmes thématiques, exploitées sans cesse en boucle : un fort impact de la pensée religieuse en générale, et chrétienne en particulier. Des voyages initiatiques permanents : que ce soit John Difool et tous ses compagnons grâce à l'incal ; l'improbable assemblée que Face de Lune réunit autour de la quête de la pierre de faîte ; la lutte contre les champions du désert dans El Topo ; la réunion de pseudo-apôtres dans La montagne sacrée et l'enfance de Jodo lui-même dans La danza de la realidad.
Des rédemptions. Des symboliques fortes autour de l'enfantement, de la filiation, de la mère en particulier. Des rebellions contre des systèmes injustes. Des figures messianiques partout. Un goût pour l'ésotérisme, la cosmologie, l'art d'inventer des univers et de les faire fonctionner. Une fascination pour les corps mutilés, estropiés, différents ou non.


Et si de celles que j'ai cité, l'oeuvre qui synthétise le mieux est sans doute le trop peu connu Face de Lune, l'origine de tout ça, elle se trouve dans La danza de la realidad. Dans cet essai romancé sur son enfance et sur la vie de son père, Jodo distille son histoire réelle dans un monde fantasque : on comprend via la figure de sa mère son obsession pour celle qui donne la vie ; quand à la figure de son père, elle explique à peu près tout le reste. Son père, c'est à la fois le tyran qu'il faut combattre, l'ignorant qui se repent, et finalement la figure du sauveur, du messie. Autour de ses difficultés à faire partie de la minorité juive pendant son enfance au Chili, on comprend les obsessions religieuses de Jodo, et son ouverture d'esprit à de nombreuses autres formes de pensées. Bref, La danza de la realidad est sans doute une oeuvre essentielle pour comprendre le reste des travaux de Jodo, et après l'avoir vue, nul doute que relire ses bande dessinées ou revoir ses autres films n'aura pas exactement le même effet.
Mais est-ce que cela en fait un bon film ? Et c'est cette question qui me pose problème. Comme d'habitude, Jodorowsky fait appel à tout un tas d'excentricités visuelles extraordinaires pour servir son récit. Pas un plan ne se passe sans que du métaphorique, du symbolique ne se passe à l'écran. Voilà pourquoi je parle de fiction autobiographique : si l'on peut supposer que le fond est en effet arrivé à Jodo ou à son père, nul doute que la forme ne vise qu'à retranscrire une vision fantasmée de ces évènements : d'où le titre d'ailleurs. C'est bien de la réalité dont on parle, mais pas une réalité filmée de manière fixe, c'est une réalité chorégraphiée, réinventée.


Le problème que j'ai, c'est que toutes ces fantaisies, elles passent d'habitude très bien dans le reste de ses oeuvres, parce qu'elles ne s'ancrent pas dans la réalité. Aucun problème à accepter qu'un oeuf sorte du dos d'un bossu dans Face de Lune ; qu'un détective minable peuple une planète entière de descendants à son image dans L'incal. Et même si La folle du sacré coeur s'ancre en premier lieu dans notre monde, on comprend bien vite que ce n'est qu'un décor et comme le personnage principal ne croit rien de ce qui se passe sous ses yeux, on a quelque chose à quoi se raccrocher.
Ici, Jodorowsky nous dit qu'il s'agit de son histoire, qu'il s'agit de LUI. Dès lors, il a été pour moi impossible d'adhérer à toutes ces fantaisies, tous ces événements qui ne surprennent absolument jamais personne dans son histoire. Comment croire à une autobiographie où un seul personnage ne s'exprime qu'en chantant ? Où un enfant prend une perruque blonde pour ses propres cheveux ? Où se passent sans cesse mille choses qui, définitivement, ne sont pas réelles ?
L'irruption d'éléments imaginaires dans un récit peut rajouter de l'intensité certes, mais tout est affaire de dosage, et ici Jodo a eu la main, à mon avis, trop lourde.

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le 9 août 2019

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Heobar

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