The Last Temptation of Christ (Martin Scorsese, U.S.A, 1988, 2h44)

L’un des Chefs-d’œuvre souvent oublié de la filmographie de Martin Scorsese, qui il est vrai dépeint un peu dans les productions auxquelles le cinéaste new-yorkais nous a habitué, ‘’The Last Temptation of Christ’’ se traina dans les sillons, lors de sa sortie en 1988, une réputation des plus sulfureuses. Sans même l’avoir vu, il fût condamné par des branches intégristes du catholicisme.


Des cinémas à Paris et à Besançon furent même le théâtre d’attentats. Des illuminés jetant de l’acide sur les spectateurs. Des actions musclées dont résultera tout de même une mort. L’attitude prête plutôt à l’ironie pour des personnes défendant le message d’amour et de paix, emplit de pacifismes de leur sauveur.


Aborder directement la religion par le biais du septième art, même lorsque l’on s’appelle Scorsese, quand le dogme s’en mêle il faut prévoir toutes les précautions. Ce genre d’incident se reproduira d’ailleurs 16 ans plus tard, à un degré moindre certe, lors de la sortie de ‘’The Passion of Christ’’ de Mel Gibson. Qui déchainera lui aussi quelques hurluberlus déconnectés.


En fin de compte, il n’y a pas de quoi faire tout un plat de cette histoire qui propose une réinterprétation des Évangiles, par la présence à l’écran d’un Jésus plus humain. Du fait il est plus faible, faillible et prêt à récuser son rôle d’idole pour mener une vie simple et bien rangée. C’est là le nœud du problème : proposer un Messie semblable au commun des mortels. Donnant toute sa dimension ‘’blasphématoire’’ au métrage.


Le roman éponyme sorti en 1955, dont est adapté le film, est écrit par le Grec Nikos Katzantzakis, un athée ayant dévoué son œuvre littéraire à questionner les valeurs et la morale de la religion chrétienne. Le scénario est signé Paul Schrader, un Protestant calviniste ayant grandi dans un milieu particulièrement austère, qui toute sa carrière durant se posera lui aussi beaucoup d’interrogations sur son propre rapport à la religion. Pour ce qui est de Martin Scorsese, Catholique assumé, croyant et pratiquant, durant sa jeunesse il hésita entre devenir réalisateur ou prêtre.


Le mélange de ces trois personnalités, assez différentes, permet d’offrir une réflexion grandiose sur la nature même de ce que représente l’identité et la nature du Christ, une personne, ou un dieu, tout en interrogeant sa dimension ‘’magique’’, traduite par les miracles. Ces derniers, à l’interprétation de chacun, lecteurs comme témoins, émettent le doute, à la fois sur les actes du Christ, et sur le parcours de l’homme.


Livré à une crise existentielle carabinée, Jésus s’avère un personnage violent, vindicatif, qui n’évite pas la posture d’illuminé, tel que définie par les textes romains, en essayant de porter maladroitement sa quête pour savoir s’il est bien le fils de Dieu. Ce qui pour les élites hébreux est du domaine du blasphème, d’autant plus que le type se revendique descendant de David et légitime ‘’Roi des Juifs’’.


Interprétation introspective d’un Martin Scorsese dont la patte sur le métrage est des plus présente, la dimension personnelle du projet explique et justifie le fait que les comédiens sont des occidentaux. À aucun moment il n’y a la prétention de livrer une œuvre historique détenant la vérité, bien au contraire. Le cinéaste et son scénariste mettent ici leur foi à nue.


Comme pour ‘’Taxi Driver’’ une décennie avant, et ‘’Bringing Out the Dead’’ une décennie plus tard, les deux auteurs livrent leurs obsessions autour d’une même thématique. À la nature héroïque d’un Travis Bickle, chauffeur de taxi sociopathe, ou à l’héroïsme anonyme d’un Franck Pierce, ambulancier adepte des paradis artificiels, vient se combiner la dimension messianique de Jésus de Nazareth, charpentier en dépression.


La sexualité occupe ainsi un point important, une notion absolument absente de toutes les autres œuvres bibliques. Le péché originel ayant encore une influence sur la réflexion chrétienne, même à la fin du XXème siècle. Comme au début de ce XXIème siècle, cela dit. Jésus a clairement des relations d’ordre charnelle avec Marie-Madeleine, présentée comme une prostituée dans un premier temps. Puis comme la mère de ses enfants par la suite, rendant indéniable l’échange sexuel.


Cela a une importance, car au-delà de choquer la morale, c’est une thématique récurrente dans le cinéma de Paul Schrader. Il est possible en ce sens de se référer à ‘’Hardcore’’, son chef-d’œuvre (avec ‘’Mishima’’) en 1979. Une variation brutale de ‘’The Searchers’’ en 1956, qui voit un père de famille calviniste, petit chef d’entreprise du Michigan, plonger dans les bas-fonds de l’industrie pornographique en Californie, à la recherche de sa fille disparue.


Chez John Ford, dans ‘’The Searchers’’ la crainte était plus ou moins la même, puisque la peur de Ethan Edwards (John Wayne) est de voir sa nièce devenir une indienne. La sexualité comme définition de l’appartenance est une question qui taraude Paul Schrader. Ainsi dans ‘’Hardcore’’, la peur du père est que sa fille se complaise dans la débauche, et devienne une autre personne, ne correspondant pas à ses standards à lui. Fragilisant tout le monde dans lequel il vit.


Avec ‘’The last Temptation of Christ’’, c’est aussi ce qu’il se passe. Jésus goûte au péché originel, il consomme le corps de Marie-Madeleine, celle qu’il sauve de la lapidation. En se délectant de la chair, il dérive ainsi de sa mission principale, qui est de porter les pêchés de l’humanité, devenir un martyr et lancer une nouvelle religion. Or, sa passion pour la Femme le mène au-delà de sa destinée, et lui permet de vivre la vie d’un homme simple. Ce qu’il est avant d’être Dieu.


S’adonner à la sexualité en dehors des liens sacrés du mariage, est considéré par l’Église chrétienne comme un pêché. Il corrompt le cœur des hommes et des femmes, ces viles tentatrices qui par le plaisir détournent les enseignements du Christ. Or dans ce film, c’est bien l’inverse qui se produit. La sexualité est rapportée à ce qu’elle est, c’est à dire une activité privée, se déroulant dans un cadre construit par deux êtres. Ce n’est pas un pêché mais le sens de la vie.


Cette conception se retrouve dans plusieurs œuvres de Martin Scorsese, qui ne banalise pas l’acte sexuel pour autant, mais lui donne un sens, qui appartient à la discrétion de chaque individu. Le décliner pour Jésus Christ, forcément, ça fait naître une colère pour ceux qui interprètent les textes de la plus sacrée des manières. Et qui explique la réception ombrageuse du film par certaines minorités catholiques.


En fin de compte, ‘’The Last Temptation of Christ’’ vient interroger en toute simplicité la religion, et le rapport de l’individu a sa foi personnelle. Entre ceux qui veulent croire, et ceux qui ne croient plus. L’important ne réside pas dans la nature de la chose en laquelle on croit, car selon où nait une personne, le choix de choisir et assez restreint.


Jésus et la religion chrétienne sont imposés dans les sociétés occidentales, placés sur un piédestal, et surtout jamais remis en question. Les institutions chrétiennes sont nombreuses, et ce sont les vestiges de la religion qui alimentent nos quotidiens. Comme les saints de chaque jour, certains jours fériés, le dimanche chômé, les monuments présents au cœur des villes, etc…


C’est par une démarche cinématographique, soit l’œuvre de fiction d’un cinéaste phare du Nouvel Hollywood, que la position d’un Christ intouchable, et de la sacralité des écrits viennent être bousculés. Et si Jésus était tout simplement un type lambda, issu du commun des mortels ? Prêt à abandonner son pacifisme, et à faire preuve de violence face à l’obscurantisme d’une société qui s’élève contre lui, pour faire accepter ses idéaux d’amour et de paix.


Persuadé de détenir LA vérité suprême, il harangue les foules. Mais lorsqu’il se retrouve seul le soir, il tremble face au poids de sa tâche, et la dualité entre lui-même et sa nature divine. En ce sens le film est l’une des plus importantes adaptations de la vie de Jésus et des Évangiles. Avec une démarche gentiment contestataire, remettant en question, sans blasphème et sans prétention, la nature divine du Christ. Non pas son message ou ses enseignements, ni la philosophie qui s’en dégage, mais bien sa ‘’nature’’.


Dans sa dimension théologique ‘’The Last Temptation of Christ’’ est, sans doute, à ce jour l’une des plus belles productions sur la foi. Le métrage laissant la possibilité à chacun de se fabriquer son avis, son opinion, et au-delà de la figure du Messie il invite à s’interroger sur sa propre existence. Le poids de cette dernière est une thématique qui parcourt tout le récit, partagé entre la destinée et le libre arbitre.


Ces deux notions viennent alors se fracasser, et qui mieux que le fils de Dieu ‘’himself’’, peut se taper une violente crise existentielle, au point d’en attraper des migraines ? Tiraillé entre la personne qu’il est et celle qu’il aspire à être, et la personne tel qu’il est perçu et celle qu’il doit être, en tant que fils du créateur. Aborder l’existence avec ça comme bagage, ça ne doit pas être la plus facile des écoles.


Le film vient nous prend nous, spectateurices, directement à parti. Ce n’est pas juste une production qui se contente de revoir les Évangiles avec un brin de new-age, alimenté par le score très 80’s de Peter Gabriel. Ce n’est pas non plus une version pop de la vie de Jésus. C’est une vision, qui est proposée, par laquelle il est possible de faire naitre interrogations et réflexions, au-delà même de l’objet filmique. Ce qui le rend d’autant plus important, appuyé par sa dimension transmédia, du livre au film.


Impossible bien entendu de parler de cette œuvre sans mentionner la performance monstrueuse de Willem Dafoe. Absolument parfait dans le rôle, il offre lui aussi une intensité dramatique au Christ. À l’instar de Max Von Sydow en 1965. Avec en plus une interprétation à la limite de la folie, rendant le personnage complétement flippant.


Sergio Leone, après avoir vu le film s’est écrié : "That is the face of a murderer, not of Our Lord !". Il marquait un point sur le visage si particulier de Willem Dafoe, capable de refléter une profonde humanité, une gentillesse sans fond, et exprimer en même temps une grande tristesse, créant de l’empathie. Comme tout à l’inverse, il peut aussi créer l’effroi et traduire la folie, comme celle d’un type déchiré entre sa vie, sa foi et sa nature divine.


‘’The Last Temptation of Christ’’ est ainsi l’aventure intérieure d’un homme en quête de sens, envers son existence, à la recherche d’un but concret pour traverser la vie. Passant avant tout par son bien-être, son besoin de partage et sa croyance en des jours meilleurs, dans une société en déclin, colonisée de surcroit par un empire étranger. Une urgence pressante, pour délivrer les Hommes du pêchés et de la décadence, en prônant l’amour, la liberté et la paix.


Ces valeurs il les défend avec violence, prêt à tout casser pour se faire écouter, face aux institutions aveuglées. Un moyen de présenter ici les limites des enseignements de Jésus. Comme lors de cette séquence où il appel à renverser les privilèges, dans une quête d’égalité. Il le dit avec une telle véhémence que des auditeurs partent en hurlant, prêts à tuer la noblesse. Quand le Christ cri avec peine : ‘’Avec amour, j’ai dit avec amour’’.


Difficile de se faire entendre, et plus difficile encore est de se faire comprendre. Là repose le point névralgique de la conscience du métrage. Jésus n’est qu’un homme et le message qu’il dispense le dépasse complétement. Car finalement, peut-importe qui il était, qu’il ait existé ou non, qu’il ait eu une vie de débauche ou d’ascète. Ses enseignements ont traversé deux millénaires.


Dans les tablatures romaines il existe bien des traces historiques d’un certain Jésus, qui aurait semé la zizanie en Judée au début du Ier siècle. Cependant, tout ce qui compose les Évangiles, sont des textes rédigés entre un et quatre siècle après sa mort. Puis traduits en différentes langues, avec ce que ça implique d’erreurs de traductions, d’interprétations et d’influences. Par les rédacteurs, les scribes et les traducteurs.


Les textes que nous connaissons aujourd’hui, et sur lesquels se positionne ‘’The Last Temptation of Christ’’, sont ainsi des vestiges fortement altérés, qui ne sont qu’extraits d’une vie à la lumière d’un prisme touché par le dogme. Ajoutez à cela la vision critique de Nikos Katzantzakis, la plume obsessionnelle de Paul Schrader, et les psychose d’un Scorsese, et vous obtenez un véritable chef-d’œuvre universel. Rien d’autre.


-Stork._

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le 30 avr. 2020

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