David Lean a été un cinéaste finalement peu prolifique tout au long de sa carrière, mais il a eu le mérite de créer des films qui ont marqué les esprits. Si son plus connu demeure certainement Lawrence d'Arabie, on lui doit quand même des oeuvres comme Docteur Jivago, La Route des Indes, Le Pont de la Rivière Kwaï. Mais il faut ajouter à cette liste cette formidable découverte qu'est La Fille de Ryan.


On pourrait s'épancher des pages et des pages sur cette oeuvre tant elle est riche, tant par son contenu que par sa forme. Sur cette dernière, on ne peut que rester béat d'admiration face aux images qu'offre Lean de l'Irlande. La campagne, les falaises, la mer sont filmées de manière remarquable. J'ai rarement vu un film capable de mettre autant en avant les paysages. Cette nature grandiose et magnifique est un véritable élément de l'oeuvre.


Au niveau de l'histoire, difficile d'évoquer tous les points. On peut remarquer que Lean contextualise son film au niveau de la guerre d'Indépendance de l'Irlande, à un moment où la 1ère Guerre mondiale fait rage. Des Irlandais qui souhaitent voir les Allemands mettre une dérouillée aux Anglais, voilà qui est plutôt surprenant. Une ambiance de guerre qui n'est pas montrée mais constamment en arrière-plan. La haine des Anglais est palpable et pourtant, ils ne sont pas dépeints comme des monstres.


Ce sont plutôt des villageois que Lean se montre très durs. Moqueurs vis-à-vis de l'idiot du village, haineux envers les Britanniques, rares sont ceux qui semblent trouver du crédit auprès de Lean: le professeur, le prêtre et ce même idiot.


Si l'on doit parler des personnages en eux-mêmes, il faudrait sans doute évoquer le professeur, interprété par Robert Mitchum, qui transmet le savoir aux enfants. Un rôle pourtant qui ne plait guère aux parents, un personnage qui semble totalement marginalisé du village, son habitation s'y trouvant en plus en-dehors de celui-ci. Robert Mitchum à contre-emploi dans ce rôle d'époux trompé par sa femme, mais qui va faire preuve d'une grande humanité et d'un grand pardon.


Le prêtre qui semble être capable de tenir à lui tout seul le village et de le remettre dans le droit chemin quand celui-ci s'en écarte. Il a pourtant bien du mal à contenir les excès de cette population mal éduquée. Si l'on pouvait penser qu'il serait vite dans un jugement vis-à-vis de Rose, il n'en demeure pas moins très compréhensif et prêt à instaurer le doute à Charles, lui arguant de ne pas quitter sa femme, comme cadeau d'adieu lors du départ du couple.


L'idiot du village s'en révèle particulièrement humain, rempli d'émotion, interprété de manière remarquable par Mills.


L'officier britannique, personnage véritablement torturé par la guerre et les souffrances qu'il a connues reste néanmoins un homme affable et bon, sans haine. Un homme détruit néanmoins dont l'amour que Rose lui vouera sera une étincelle d'espoir qui s'éteindra malheureusement pour lui bien vite.


Et puis, il y a Rose, interprétée de manière magistrale par Sarah Miles. On peut évoquer beaucoup de choses aussi sur ce personnage, entre celle d'une jeune fille pleine de rêves qui va connaître la désillusion. Un mariage sans passion qui va contraster avec ce qu'elle va vivre avec l'officier britannique. Le meilleur exemple vient de cette "confrontation" entre la nuit de noces et la relation sexuelle partagée avec l'officier. Les superbes images de nature qui ne supposent qu'une communion entre les deux amants là où la nuit de noces montre déjà une fracture entre le couple, d'un homme qui s'endort alors qu'on jette des cailloux aux fenêtres.


Néanmoins, le personnage de Rose évolue. Elle perd de son innocence, de son adolescence presque pour devenir une adulte. Elle comprend que l'amour que Charles lui porte est bien différent que celui du britannique. Probablement s'agit-il d'un amour moins passionnel, mais néanmoins plus profond. Rose ne devait-elle pas vivre sa jeunesse, ne devait-elle pas s'affranchir d'une figure paternelle, avant d'épouser un homme plus âgé qu'elle et de se poser ?


Les difficultés que va connaître Rose notamment à cause de sa relation intime avec l'ennemi vont la rapprocher de Charles qui va alors se montrer prévenant et dans le pardon.


La Fille de Ryan est un film sur la vie et sur l'amour. D'une certaine manière et dans un genre forcément différent, j'ai parfois pensé à Two Lovers de James Gray où le personnage de Phoenix était lui aussi déchiré entre un amour passionnel et un amour protecteur.


Véritable épopée qui prend le temps d'installer son récit, vous ne verrez néanmoins jamais passer les trois heures. Une réussite indéniable, un film intemporel, un chef-d'oeuvre.

batman1985
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le 24 oct. 2017

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