Tout le monde ne "rentrera" pas dans ce film. La violence qui s'y dégage n'a pas très bien vieilli, les dialogues sembleront verbeux et niais à qui refuse de s'identifier aux personnages, et pour notre regard de spectateurs du XXIe siècle, ce ne sera sans doute pas le film le plus révolutionnaire de Nicholas Ray.

Pour comprendre le film, il faut vraiment avoir à l'esprit tout ce qu'il ne dit pas sur l'Amérique des années 1950, sûre d'elle-même, à la fois moralisatrice et occupée à découvrir les joies de la société de consommation.

Comme beaucoup de films mythiques ("Citizen Kane", "2001"...), "La fureur de vivre" souffre d'avoir été placé dans les anthologies du cinéma pour quelques scènes (celle de la bagarre au couteau). Or il y a beaucoup de bonnes choses autour.

Le personnage central, James, arrive dans une nouvelle ville. C'est un enfant gâté, qui traite (pas à tort) sa famille de "ménagerie" et qui est en attente de règles, alors que son père est un pleutre. Ce personnage du père est magnifiquement peint, et véhicule beaucoup du malaise du film (la scène où on le voit à quatre pattes en tablier est assez effrayante - pré-Lynchien, si on me permet ce pédantisme). Du reste le rapport au père est un sujet central du film : le père absent de Plato, l'adolescent obligé de s'inventer une famille et d'avoir son revolver pour se sentir rassurer ; le père idéalisé, violent et incompréhensif de Judy... Cela dit les aspects psychanalytiques, bienqu'évidents, ne sont pas alourdis par la symbolique hollywoodienne habituelle : voilà un écueil d'évité !

Dès la scène de commissariat du début, le génie de Ray comme réalisateur éclate. Les personnages sont mis en place petit à petit, et leurs relations se précisent peu à peu. Ray était vraiment un directeur d'acteurs sans pareil. La scène où Nathalie Wood hésite à quitter la maison arrive à suggérer son déchirement à travers quelques gestes simples, sans la moindre parole. Qui sait encore faire ça aujourd'hui ?

Venons-en à la violence, dont le traitement a valu sa célébrité à Nicolas Ray (à la fin du film, on nous a projeté l'interdiction au moins de 13 ans, qui recommandait chaudement la présence des parents dans la salle !). La scène de course en voiture volée face à la falaise (le premier qui saute a perdu) reste très efficace. La scène de couteau... Ben, je la trouve décevante ; aujourd'hui elle fait très stéréotypée. Par contre la poursuite dans le manoir abandonné est très crédible, et annonce des films comme "Les chiens de paille". Certes, il n'y a pas de sang, mais la peur que chacun ressent, du côté des agresseurs comme de celui des agressés, est palpable.

Un bon film, mais pas mon préféré de Nicholas Ray. Il n'atteint pas l'intensité de "Le violent", ou encore celle de mes deux préférés : le sublime "La maison dans l'ombre" et le magistral "Les indomptables".
zardoz6704
7
Écrit par

Cet utilisateur l'a également ajouté à sa liste Une petite ville bien tranquille des Etats-Unis

Créée

le 27 févr. 2012

Modifiée

le 31 août 2012

Critique lue 692 fois

9 j'aime

6 commentaires

zardoz6704

Écrit par

Critique lue 692 fois

9
6

D'autres avis sur La Fureur de vivre

La Fureur de vivre
lucasstagnette
7

You're tearing me apart!

Film culte de Nicholas Ray, Rebel Without a Cause est un film à l'image de son héros, le légendaire James Dean, et du jeune Jim Stark qu'il incarne : il ne sait pas où aller, comment y aller,...

le 18 août 2011

31 j'aime

4

La Fureur de vivre
JohnSpartan
8

Teen movie antique.

Les films sur les adolescents en rupture avec le monde des adultes ne datent pas de John Hughes ou des gâteaux à la pomme. On est en plein dedans, mais dans un film bien plus dramatique que les...

le 26 oct. 2010

31 j'aime

1

La Fureur de vivre
Before-Sunrise
3

Je vends un Blu-Ray

"Premier teen movie", "rôle phare de la trop courte carrière de Dean", "film témoin d'une génération perdue".... On peut en lire des conneries sur La Fureur de Vivre. Ce film n'est rien d'autre qu'un...

le 19 juil. 2015

28 j'aime

15

Du même critique

Orange mécanique
zardoz6704
5

Tout ou rien...

C'est ce genre de film, comme "La dernière tentation du Christ" de Scorsese", qui vous fait sentir comme un rat de laboratoire. C'est fait pour vous faire réagir, et oui, vous réagissez au quart de...

le 6 sept. 2013

56 j'aime

10

Crossed
zardoz6704
5

Fatigant...

"Crossed" est une chronique péchue, au montage saccadé, dans laquelle Karim Debbache, un vidéaste professionnel et sympa, parle à toute vitesse de films qui ont trait au jeu vidéo. Cette chronique a...

le 4 mai 2014

42 j'aime

60

Black Hole : Intégrale
zardoz6704
5

C'est beau, c'est très pensé, mais...

Milieu des années 1970 dans la banlieue de Seattle. Un mal qui se transmet par les relations sexuelles gagne les jeunes, mais c'est un sujet tabou. Il fait naître des difformités diverses et...

le 24 nov. 2013

40 j'aime

6