1995 c'était le bon temps. A l'époque on attendait que les présidents ils soient trop vieux ou morts pour en changer. Cette année là, il avait suffit de manger des pommes pour élire le nouveau et lui, une fois au pouvoir, il s'empressa de faire pousser des champignons en Polynésie, pour nous dire merci. « Les Guignols » étaient encore assez drôles et subversifs pour qu'on les soupçonnât d'avoir incité les gens dans leur choix, ce qui était polémique du point de vue de nos valeurs démocratiques vertueuses de la République de notre belle Marianne bienveillante, millénaire et universelle de notre beau pays hexagonal et tout et tout. Ç'avait été chaud pour le cul du nouveau premier ministre en revanche. La grève avait su se faire générale pour qu'il dégage, parce que personne ne pouvait piffrer sa gueule de crâne d’œuf bordelais.
Dans les cours de récré le trône se disputait dans des battles de Pog's. A la télé, on avait encore le droit de mater « Dragon Ball Z », Ségo l'avait pas fait déprogrammer, cette salope. Pour sauver le cinéma Von Trier et Vinterberg tentaient de réhabiliter le dogmatisme, avec le succès que l'on sait... Jours étranges.
Zidane jouait encore dans le championnat de France et l’Équipe nationale, que mémé Jacquet avait dû ramasser à la petite cuiller après son indigestion de yaourt bulgare, n'avait pas encore choper le melon de la coupe-du-monde-98-à-jamais-dans-nos-coeurs-jusqu'à-la-mort-et-au-delà... Elle restait bien conforme à l'image de la D1 (l'ancêtre de la L1) en étant abonné aux 0-0. Tout à fait, Thierry ! Le vieux monde du fußball à papa s’apprêtait d'ailleurs à être transfiguré irrémédiablement à cause de Jean-Marc Bosman piètre joueur belge mais bon petit diable qui allait réaliser un véritable hold-up sur le terrain législatif.
L'Internet n'était plus l'apanage d'une élite militaro-universitaire que depuis un an et la Playstation n'en était qu'à sa première mouture. Imaginez donc... Un monde sans GTA, sans Wii, sans Smartphone, sans Ipad, sans Facebook, sans Twitter, sans Youtube, sans Tumblr (oh non!), sans Instagram, sans SensCritique ! Sans télé-réalité même ! Pas de Tag Parfait non plus. C'était la croix et la bannière pour accéder à du porn de qualité, surtout quand on avait pas l'âge légal... Mais on avait des Tam-Tam et des Tatoo pour que notre tribu garde le contact avec nous. Et des paquets de 10 pour cloper tranquilou. C'était pas si mal en fin de compte.

Le mariage gay n’était même pas à l'ordre du jour, les homos n'avaient pas encore été totalement dépossédé du SIDA, du coup ils gardaient le profil bas ces enculés et n'osaient pas grappiller nos insolubles droits d'hétéro à la normalité de la famille nucléaire. On raquait encore en francs, impossible donc de mettre l'inflation sur le compte du démon €uro. Dieu sait quel autre sophisme il était de bon ton d'utiliser dans les files d'attentes des caisses de supermarché pour se plaindre du coût de la vie en ce temps là... Même que voter Le Pen ça se faisait encore en loucedé aussi. Faut dire que c'était le vioque qui tenait toujours la boutique et c'est qu'il mordait ce con de borgne !
Dino avait cassé sa pipe à Noël, Deleuze, Cioran et Pierre Schaeffer l'avaient précédé. Pendant ce temps mon demi-frère, lui, venait au Monde. Mais cela ne vous regarde pas.
Le grunge s'était tiré une balle dans la tête l'année précédente. La techno, déjà bien ringarde, ne faisait plus peur à personne avec ses woodstocks du pauvre chaque week-end, sauf peut-être aux mémés abonnées au JT de France 3 région. Le punk était devenu « à roulettes » ce qui voulait surtout dire qu'il tournait à vide sur MTV. Les british, en pleine descente d'acid house, nous régurgitaient désormais leur propre pop 60's sous l’étiquette toute neuve de britpop. D'étiquette toute neuve ce petit intello de Simon Reynolds en avait trouvé une bien bonne pour regrouper les groupes les plus chiants de l’époque : le Post Rock ! Un vaste programme qui n'était de facto pas plus « post » que «  rock », mais rien qu'un terne succédané de krautrock sous prozac. Le rap français quant à lui n’était alors pas devenu une pâle parodie de lui même, il n'était encore qu'une pâle parodie du rap new-yorkais. Celui-ci était d'ailleurs en verve et l'année fût rythmée par les sorties des premiers albums solo impeccables des MC's du Wu-Tang. La base.
Ou plutôt le chant du cygne d'un Hip Hop bientôt à jamais changé par le double homicide Biggie-Tupac. Un DJ sortirai de l'ombre l'année suivante pour nous expliquer pourquoi le rap craignait dejà en 96, mais ceci est une autre histoire...
Pour l'heure un homme à la peau noir, même mulâtre, à la Maison Blanche n'était envisageable, à la rigueur, que dans une comédie hollywoodienne et les afghans étaient les meilleurs potes de Rambo ! Les islamistes n'avaient pas encore infligés à l'Occident l’irrémédiable blessure narcissique de l’émasculation des tours jumelles (les bombinettes dans le RER qui s'en souvient désormais hein ?). Les femmes voilées ne menaçaient donc pas notre sacro-sainte laïcité, les sacrifices de moutons ne représentaient pas un danger pour notre industrie charcutière et les banlieues ne foutaient le feu qu'après une bavure policière. Paris sous les bombes ce n'était qu'un rêve. Euh ben... Tout comme aujourd'hui en fait.
Une époque formidable vous dis-je...

Un enfant de la balle pouvait même se permettre de faire un film sur les quartiers défavorisés et s'en sortir avec tous les honneurs (aussi bien ceux de Cannes que ceux du « public-cible » comme disent les marketeux). On y verrai que du feu. Entre, d'un coté, les blancos bon teint qui trouvaient là l'occasion de se rassurer sur ce qui se passait là bas, dans ces HLM qui n'avaient plus rien en commun avec ceux que Renaud chantait vingt ans auparavant, tout en caressant leur conscience de gauche dans le bon sens du poil et de l'autre les banlieusards eux-mêmes « heureux de se sentir enfin pris en compte » pour paraphraser mon pote Didier Boudet, le succès du film en question était assuré et pour longtemps.
Le truc, sobrement, s'intitulait « La Haine ».

La première fois que j'avais vu le résultat c'était peu de temps après les émeutes de novembre 2005 et j'avais été bluffé par la pertinence du film malgré ses 10 ans d'âge. Puis il y a quelques temps je retombe dessus par hasard et là les choses m'apparaissent différemment, très differement... Le métrage m'est insupportable tant il m’apparaît comme la vision d'un jeune réalisateur à l'ambition dévorante sur un milieu qui n'est pas le sien.
Il n'avait même pas hésité à caser ses potes : Benoit Magimel l'enfant-star de « La Vie est un Long Fleuve Tranquille » ou surtout le fils de Jean-Pierre Cassel, qui cabotinait déjà à donf. Son personnage deviendrait pourtant culte, grâce à ses coups de sang si peu crédibles, et assurerait une carrière fastueuse à l'acteur placée sous le signe de la provoc à neuneux (de « Dobermann » à « Mesrine », en passant par « Sheitan » sans oublier les pubs Yves Saint-Laurent...). Les trois persos principaux étaient à la limite du clicheton : le renoi posé et raisonnable (le très très mauvais Hubert Koundé), le rebeu paumé, attachant mais un peu nigaud (le bien bien meilleur Saïd Taghmaoui) et le babtou complètement couillon donc. Ou bien sont-ils devenu clichetons pour avoir imposé les canons du film de banlieue, toujours est il que leur amitié dépeinte dans le film s'apparenterait aujourd'hui à une des première expression culturelle du mythe en gestation de la France « black-blanc-beur »...
L 'aspect « drame social » était trop prévisible et ne peut plus cacher aujourd'hui sa complaisance. Telle une paire de couilles le film penchait trop d'un coté, il semblait justifier les moindres faits et gestes de ses héros alors même qu'il nous les présentait, la plupart du temps, comme incapables d'adopter une attitude adéquate. C'est sans doute ce point précis qui énerva Jean-François Richet qui s'empressa de faire cracker sa 6-T après avoir vu « La Haine ».
Malgré l’indéniable poésie de certaines, celle du vieux dans les toilettes par exemple, pendant une heure trente on assiste à un enchaînement de scènes - liées entre elles par une intrigue principale pas complètement pourrie qui tourne autour d'une éventuelle vengeance (plat qui ne se mangeait pas encore tout de suite) - soit trop prévisibles soit inutiles.
Et zyva que j'te fous une scène pour critiquer la rapacité des médias, et zyva que j'te fous une scène pour montrer que les keufs ils font iéch quoi t'as vu, et zyva que j'en remet une deuxième couche, puis une troisième et nique la police, et zyva que je te case une belle promo gratos pour mon poto DJ Cut Killer, et zyva que j'te fous la scène inévitable à l'entrée de la boite de nuit qui fini, bien sûr, mal (dans un plan en surimpression qui laissera de marbre tout amateur d’expressionnisme allemand...), et zyva que j'te fous une scène à charge – un brin hypocrite – contre l'intelligentsia artistico-aristo germano-pratine parigo-parisienne pour bien montrer la profondeur de la fracture sociale, et zyva que j'te fous une scène pour régler leur compte aux skins néonazis (bon ça c'est OK, à la limite, et utile à la dramaturgie, mais c'est nettement moins drôle que dans « Didier »), et zyva que j'en rajoute une dernière couche sur la police pour bien finir tout ça sur une note lourde de pathos.
So far, so good... Comprenne qui pourra.

On ne doutera jamais de la sincérité de Kassovitz d'avoir voulu donner une meilleure image de la banlieue et une visibilité à ses problèmes en ciblant les vrais responsables, mais de la même manière qu'on ne doutera pas non plus de la sincérité de Dany Boon d'avoir voulu rendre hommage à sa région dans « Bienvenue Chez Les Ch'ti » alors que le résultat nous a juste fait passer aux yeux du Monde pour des pébranles qui s'expriment avec un patois de babaches.
Dans la téss de Kasso, les djeunz tout ce qu'ils veulent c'est fumer du teush sur le toit de leur bloc de béton, faire du scoot dans les allées du quartier, se raconter les émissions de télé qu'ils ont téma la veille et brûler les caisses de leurs voisins quand la brutalité policière a été un peu trop loin contre l'un d'entre eux. Bref, ces jeunes là ce sont de bons bougres dans le fond, ils sont pas vraiment méchants, juste un peu paumé, un peu... zehef.
Z'ont pas eu d'éducation vous comprenez ?
Zon't la haine quoi.
Wesh.
MeRz
4
Écrit par

Créée

le 26 déc. 2013

Critique lue 699 fois

6 j'aime

2 commentaires

Me Rz

Écrit par

Critique lue 699 fois

6
2

D'autres avis sur La Haine

La Haine
Sergent_Pepper
7

Chute des classes

Evénement de l’année 1995, La Haine a tout d’un film contextuel qu’il est assez curieux de revoir, ce que proposent les salles à l’occasion de sa restauration 4K. Parce que la situation n’a pas...

le 26 juin 2023

85 j'aime

9

La Haine
moumoute
2

J'ai préféré veuves en chaleur.

J'ai essayé de regarder La Haine quand j'avais 16 ans, et à cette époque tout le monde se servait sur la mule et mettait une semaine pour arriver à voir quoi que ce soit. Bien évidemment un petit...

le 1 mai 2012

54 j'aime

17

La Haine
Zogarok
3

Les "bons" ploucs de banlieue

En 1995, Mathieu Kassovitz a ving-six ans, non pas seize. C'est pourtant à ce moment qu'il réalise La Haine. Il y montre la vie des banlieues, par le prisme de trois amis (un juif, un noir, un...

le 13 nov. 2013

49 j'aime

20

Du même critique

Advaitic Songs
MeRz
8

Critique de Advaitic Songs par Me Rz

Réveil. Gueule de bois. Branlette... bof. Debout. Pipi. Verre d'eau. Café ? Le plus dégueulasse que j'ai jamais eu à boire. Pas vraiment faim. Re-verre d'eau. Éviter de voir ma sale face dans un...

le 27 août 2013

29 j'aime

1

Kids
MeRz
2

Salut les kids !

Ça commence par un gros plan sur deux boutonneux en train de se rouler une bonne vieille galoche des familles... Bouh qu'est ce que c'est dérangeant ! C'est vrai qu'on a pas l'habitude de voir ça...

le 28 déc. 2013

26 j'aime

2

London Calling
MeRz
9

Critique de London Calling par Me Rz

Voilà un disque qu'il est très bien. Que franchement si vous l'avez pas déjà, vous craignez du boudin à mort, hi hi hi. Et que si vous l'avez même jamais entendu c'est vraiment la hchouma pour vous...

le 10 févr. 2013

17 j'aime

3