Un univers magnifique dans un écrin de balourds : voilà ce que propose La Marche de l'Empereur. Tourné en Antarctique, il suit des manchots empereurs pendant un hiver de neuf mois, sur l'océan gelé. Pour mettre de l'animation sur cette ligne droite, un trio issu de la troupe de manchots, soit papa, maman et leur petit, s'exprime en voix-off. Les commentaires sont crétins et le couple se répète, quand il ne se fait pas littéralement écho. La musique est catastrophique, entre la chanson à texte pour gamine avec anglais de rigueur, les sons burlesques à répétition et la tartine de pop cotonneuse étalée sur des sons réels. Les plus beaux moments sont souvent sapés par des poses de posters 'girly love'. Même le grand sujet, la ponte, est englué par cette dramatisation bouffie, avant le bébé ne répande sa malice d'abruti avec ferveur. Happy Feet devait être trois fois plus adulte, on finit à quatre.


Ce projet a nécessité des caméras spéciales pour faire face au froid, sans que le dispositif soit aussi ambitieux que pour Le peuple migrateur (2001) sur les vols d'oiseaux. Les plans de la banquise, les rares en silence et une poignée d'apartés (comme le passage du manchot solitaire égaré) sont épargnés par le filtre avilissant global ; la beauté des paysages et des animaux surnage quoiqu'il arrive. L'anthropomorphisme est maladroit et vain, n'apportant pas plus de substance à ces aventures ni à ces personnages. Ce sont des animaux occupés à leurs besoins, tout en monologuant avec une emphase de légendes sur catalogues, à mi-chemin entre l'onomatopée tragique et la prose lyrique. L'intensité romanesque est très faible, donc le calcul général pas payant sinon aberrant. Le film est court, plein d'images fortes, de digressions plus poignantes, il repousse facilement l'ennui de surface. Vu l'ampleur du projet et de la marche, la séance reste attractive, voire plus dans le contexte de sa sortie. Elle peut notamment séduire un public réfractaire au genre documentaire, même animalier.


Il y aura toujours pour sa défense la capture d'images éloquentes et une passion manifeste ; pour le reste, la séance est peu exigeante et enrichissante. Elle n'apprend que des anecdotes – sauf ce que peuvent apporter des images, mais ce sont des panoramiques kawai ou massifs (sans briller dans aucun des deux registres, à cause de cette piteuse valeur ajoutée). Finalement les seuls renseignements sont : les manchots vivent en meute, ont une dégaine pittoresque et tiennent leurs petits sous leurs manteaux. La recherche de gags, effrénée au début, souligne surtout le manque d'imagination et d'attention des monteurs ou décideurs (des chutes et des déplacements 'décalés' en micro-groupe : ces manchots ont la même étendue d'expressions qu'une armée de clones de Fillon). Aucun engagement déclaré, pas d'écologisme à relever ; vu la densité de niaiserie avec si peu de matériau objectif, c'est sans doute un manque pour un bien. Luc Jacquet tournera d'autres films éco-centrés (Il était une forêt, La Glace et le ciel), dont Le renard et l'enfant sorti peu après. Son individualisation radicale de l'animal, sans voix-off ni anthropomorphisme, donnera un résultat bien plus enchanteur et dynamique. La marche de l'empereur lui reste hors-jeu, dérisoire face aux précédents exploits et triomphes dans le genre (Le peuple migrateur et Microcosmos), dont il semble être un héritier surchargé et infantile.


https://zogarok.wordpress.com/2016/12/04/la-marche-de-lempereur/

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le 27 nov. 2016

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