Deux ans après le succès confidentiel du midnight movie El Topo Alejandro Jodorowsky réalise La Montagne Sacrée, immense fresque ésotérique conçue comme un trip mystique et sensoriel qui nous immerge, deux heures durant, dans un kaléidoscope d'images et de sons mâtiné d'initiatique. Visuellement inoubliable et surpuissant La Montagne Sacrée peut-être vu, quarante ans avant La Danza de la Realidad, comme le premier film-somme de Jodorowsky, une oeuvre dans laquelle toutes les obsessions et lubies du cinéaste sont concentrées : spiritualité exacerbée, portes de la perception grandes ouvertes et rejet violent du matérialisme ( traduit par une imagerie volontairement extrême formée de corps suppliciés, d'argent jetée par les fenêtres et de tabous brisés...) ; l'abondance plastique du film fonctionne en permanence avec une symbolique à la portée passionnante, symbolique sciemment développée et déclinée par Jodorowsky au travers d'une quête initiatique pas toujours intelligible mais jamais exclusive...


Deux champs spirituels se démarquent pourtant, deux champs marchant continuellement côte à côte : l'astrologie occidentale et la tarologie. Dense sans être étouffe-chrétien La Montagne Sacrée s'apparente, dès ses premières images, à un gigantesque poème crypté à travers lequel le réalisateur élucubre sur des croyances à la mythologie fascinante. Il serait injuste et surtout très paresseux d'affirmer que Jodo n'est qu'un cinglée persuasif, tant La Montagne Sacrée témoigne d'un incroyable sens de la construction esthétique, narrative et dramatique. Il établit son récit autour de trois actes de portée différente mais complémentaire : de ce point de vue la partie centrale, appétissante galerie d'univers cosmique symbolisant notre système solaire et ses influences sur l'âme, reste la plus réussie. On devine également, durant la première demi-heure, le climat dictatorial intrinsèque au continent sud-américain de l'époque, tourbillon d'exactions représentées de manière délirante par Jodorowsky ( nous sommes en 1973, et le général Pinochet reste très présent dans les esprits ). Quant au troisième acte, purement réservé à la quête initiatique de son personnage étrangement christique, il s'achève comiquement comme une mise en abyme délibérément grotesque et appuyée.


Un film prolixe, sans doute un peu mégalo mais d'une inventivité constante et d'une identité certaine. Le cinéaste jongle avec les images comme un illusionniste chevronné, capable de nous porter intégralement dans un récit non dépourvu d'exigences et d'aspérités. Le chef d'oeuvre d'Alejandro Jodorowsky.

stebbins
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le 2 avr. 2016

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