Voici un objet complètement atypique: fascinant et dérangeant à tout point de vue, et quasiment impossible à noter ou à critiquer.
Fascinant parce que chaque plan mériterait qu’on sy arrête, pour les représentations qui sont offertes, pour les constructions symétriques, pour les images iconiques qui parsèment l’œuvre.
On en prend plein les yeux pendant tout le métrage, jusqu’à saturation.
Une avalanche de couleurs, de formes, d’idées qui finissent par brouiller l’esprit.
On nage en plein trip halluciné et on finit par penser que la drogue a réussi à devenir visuelle et qu’on est en train d’en subir les effets.
Fascinant aussi parce qu’on comprend certaines pensées plus ou moins philosophiques, condamnations ou parallèles avec notre monde et qu’on est assourdi par tout ce que le film essaie de nous dire. Si bien qu’on ne sait plus ce qu’on a vu l’instant d’avant. Certaines références sont trop poussées, d’autres à peine effleurées, et sans doute pas mal impossibles à cerner lors d’un unique visionnage. Une cacophonie de sens au milieu de laquelle on nage gentiment.
Dérangeant parce que le film transpire la transgression à tous niveaux:
Quasiment muet pendant son premier quart d’heure, le film déroute en nous présentant un sosie de Jésus (déjà ça c’est cocasse: qui sait à quoi ressemblait vraiment JC? Personne, mais on sait tous reconnaitre son sosie….) qui se retrouve dans des situations étranges évoquant systématiquement des passages bibliques ou des dérives de pratiquants.
Dans chaque parcelle du film les références pullulent et on a toujours matière à interpréter comme on l’entend un mélange a priori desarticulé.
Dérangeant parce que le film prend corps en pleine libération sexuelle et drogues à tout va : décors psychédéliques, profusion de formes géométriques, corps nus, caresses, machine à orgasmes, rien ne sera laissé de côté dans un film sous forme d’orgie multicolore.
Dérangeant aussi par sa brutalité, par ses exécutions (même si l’effet est atténué par du sang coloré ou des corps qui laissent échapper des oiseaux) pour des scènes où les animaux sont régulièrement montrés en mauvaise posture: cadavres crucifiés et éventrés, combat sanglant de crapauds, chevaux enlisés.
Dérangeant parce qu’on a le sentiment de rater quelque chose, de rester sur le côté du chemin, d’oublier pourquoi on est venu, et surtout parce qu’on s’attache bien peu aux personnages dont on ne comprend rien, et dont chaque action semble dénuée d’énergie.
Dérangeant au moment de sortir du film parce qu’on se demande ce qu’on va pouvoir en tirer, on est encore un peu sous l’effet de la drogue et on a du mal à retrouver ses esprits.
La montagne sacrée peut vouloir dire plein de choses, et il doit probablement exister une tonne d’interprétations possibles, comme on peut ne rien y trouver au milieu d’un joyeux bazar.
Une chose reste certaine: ça doit valoir le coup de faire une incursion dans le cerveau bouillonnant d’Alejandro Jodorowsky.