Nouvelle adaptation de la nouvelle de George Langelaan, après celle, bien connue, de Kurt Neuman intitulée La Mouche Noire (1958), la version de David Cronenberg, sortie en 1986, fait partie de ces œuvres horrifiques qui ont durablement marqué toute une génération. Cronenberg avait déjà, à son actif, quelques films qui avaient désarçonné une partie du public, notamment Vidéodrome (1983), mais avec La Mouche, il parvenait alors à atteindre le sommet de son art. Jamais sa fascination pour la déformation du corps humain, que ce soit d’un point de vue organique ou d’un point de vue psychanalytique, n’aura été portée aussi loin.
Le scientifique Seth Brundle, un homme très intelligent et totalement dévoué à son travail, parvient à mettre au point une machine à téléportation. Bien qu’elle ne soit pas encore tout à fait au point, il contacte une jeune reporter, Veronica Quaife, afin que celle-ci réalise un reportage sur l’invention géniale qu’il est en train de créer. Très vite, les deux êtres vont se rapprocher, et une relation fusionnelle va naître au fil des jours passés ensemble. Seulement, un soir, alors que Seth a trop bu, en proie à la colère et à la volonté de prouver sa valeur, il se met dans la tête que son invention fonctionne et qu’il n’y a plus qu’à effectuer un test sur l’humain. Jusqu’alors, il n’avait effectué des tests que sur des animaux ; mais cette fois, c’était à son tour d’être téléporté. Mais lorsqu’une mouche s’immisce dans la machine à téléportation, baptisée télépod, l’expérience de Seth risque fort de prendre une tournure bien plus dramatique qu’il ne l’aurait pensé.
Si le film de Cronenberg est parvenu à traumatiser toute une génération, c’est évidemment en grande partie pour ses effets spéciaux. Comme dit précédemment, il a toujours eu une fascination quasi-morbide pour l’organique, les corps humains en décomposition, et cette fascination n’est pas en reste dans La Mouche : il y a un véritable rapport cinéphilique qui se crée au cours du film vis-à-vis du sang, de la peau, voire même de la sueur. La première rencontre que le spectateur fera avec cette fascination du réalisateur, ce sera lors de la scène de téléportation du babouin, véritable rupture entre le simple film de science-fiction, et le long-métrage d’horreur. A ce titre, on peut saluer l’incroyable travail qui a été effectué sur les effets spéciaux, orchestrés par Chris Walas et Stephan Dupuis, car ce sont là non seulement des effets qui n’ont pas pris une ride, mais qui parviennent également à rendre compte de l’évolution physique et mentale que subit Brundle au fil du long-métrage. L’être humain disparaît peu à peu, pour ne laisser place qu’à une créature cauchemardesque, à un monstre tout droit sorti des films de l’âge d’or de la Hammer.
En revanche, là où le film devient véritablement passionnant, c’est davantage dans l’écriture de ses personnages et de la tragédie qu’ils s’apprêtent à vivre que dans ses effets spéciaux. Si l’on peut trouver la première demi-heure assez longue et terne, la faute à une mise en scène très sobre et à une relation de couple expédiée à la va-vite, les enjeux que cette partie du récit met en place trouveront une résonance tout à fait brillante par la suite. En effet, les personnages de Jeff Goldblum et Geena Davis, tous deux excellents dans leur rôle, sont comme deux amants maudits, deux êtres marginaux qui se seraient trouvés, et qui parviendraient, ensemble, à créer l’une des inventions les plus révolutionnaires qui ait jamais existé. Seth, avant de rencontrer Veronica, ne vivait pas vraiment, concentré qu’il était sur la création de sa machine. Et cet objectif qu’il s’est mis en tête a fini par tourner à l’obsession, particulièrement ce fameux soir durant lequel Veronica le laisse tout seul. A la manière d’Icare, qui s’est brûlé les ailes en souhaitant voler trop près du soleil, Seth, dans un élan de mégalomanie, a souhaité tester sa machine pour des mauvaises raisons, comme pour prouver au monde entier qu’il était un pur génie.
Bien entendu, cette expérience n’a mené qu’à des fins tragiques. Si, après l’expérience, Seth se verra purifié de tous ses doutes et de toutes ses peurs, son humanité, elle, se fera de plus en plus abstraite. Sa transformation progressive en monstre n’atteindra son point d’orgue qu’à la fin du long-métrage, lorsque Seth n’aura, en apparence, plus rien d’humain. Et pourtant, malgré cette apparence monstrueuse, une part d’humanité restera comme collée à lui, autorisant alors celle qu’il a toujours aimé à mettre fin à son existence contre-nature.
Malgré un aspect gore assez repoussant, le film de Cronenberg possède en lui une poésie macabre véritablement fascinante et mise en scène de façon efficace. Une fois passée cette première demi-heure un peu lourde, le rythme du film opère un crescendo sans temps morts, livrant ainsi son lot de scènes cultes et marquantes (la scène de l’accouchement, quelle horreur !). Ainsi, Cronenberg a su se démarquer totalement du film de Neumann, piégeant le spectateur vis-à-vis de ce qu’il aurait pu attendre, et en y intégrant toutes les fascinations et névroses propres à son cinéma. Nul doute qu'il s’agit là d’un grand film d’horreur, et d’un des meilleurs remakes jamais réalisé.