Malcolm & Marie
6.7
Malcolm & Marie

Film de Sam Levinson (2021)

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"Le cinéma n’a pas toujours besoin d’un message, mais d’une émotion"

Après avoir marqué des millions de téléspectateurs avec sa série Euphoria (2019), Sam Levinson, fils de l’illustre réalisateur Barry Levinson, livre un troisième long-métrage entièrement réalisé et écrit en période de confinement. En effet, la saison 2 d’Euphoria a vu son tournage être stoppé en raison de l’épidémie, ce qui mènera d’ailleurs aux deux épisodes spéciaux de la série qui permettent une transition entre la première et la seconde saison de la série. Il est intéressant de constater que ce confinement ne sera pas parvenu à brider la créativité du réalisateur de Another Happy Day (2011) et de Assassination Nation (2018). A vrai dire, cette période semble avoir eu l’effet inverse sur Levinson, ce-dernier, comme s’il se satisfaisait des diverses contraintes de réalisation et d’écriture liées au contexte du confinement, accouchant d’un script dont l’urgence et l’authenticité se font sentir à chaque ligne.


Malcolm, un jeune cinéaste talentueux, rentre d’une projection en avant-première de son dernier film avec sa petite amie, Marie. Tout semble indiquer que le film en question a énormément plu à la critique, mais Malcolm projette de lire les premières critiques qui tomberont, quitte à rester éveiller toute la nuit. Alors qu’il semble particulièrement déchaîné, Marie, elle, se montre beaucoup plus calme. Et au fur et à mesure que la nuit progresse, cet écart va se creuser d’avantage : le couple débutera alors une dispute sans fin, durant laquelle des vérités trop longtemps gardées sur le cœur seront dévoilées.


Sam Levinson s’étant créé une petite équipe de personnes talentueuses avec le temps, il n’est pas étonnant de voir, au générique, quelques noms familiers : on retrouve donc Marcell Rév, qui s’occupait déjà de la photographie d’Euphoria et qui parvient à rendre le filtre noir et blanc du film absolument magnifique ; le compositeur Labrinth, qui avait déjà créé la bande originale de la série de Levinson, s’occupe également de la musique de ce long-métrage ; et bien évidemment, Zendaya, la star de la série Euphoria, revient pour interpréter l’un des deux rôles principaux de ce Malcolm & Marie. Elle sera accompagnée par le talentueux John David Washington, que l’on avait pu apercevoir l’année dernière avec Tenet, le dernier long-métrage de Nolan.


Evidemment, puisqu’il s’agit d’un huis-clos composé uniquement de deux acteurs, leur performance joue pour beaucoup sur notre ressentit du film. Or, qu’il s’agisse de Zendaya, qui ne cesse de montrer au monde à quel point elle est une grande actrice, ou de John David Washington, chacun semble faire corps avec le rôle qu’il interprète, frôlant parfois le cabotinage, sans jamais tomber dedans. Sam Levinson a l’habitude de filmer Zendaya, il sait comment la magnifier dans le cadre et il ne s’en prive pas. Tout comme il ne se prive pas de multiplier les choix de réalisation symboliques que certains trouveront sans doute lourds, mais qui, personnellement, m’a rappelé la fougue que l’on pouvait retrouver dans la réalisation des épisodes d’Euphoria. On peut remarquer, par exemple, ce plan-séquence filmé de l’extérieur en début de film, prenant la forme d’un travelling qui irait de droite à gauche et inversement, permettant au réalisateur, avant même que leur dispute n’éclate, que quelque chose ne va pas dans ce couple : Malcolm et Marie ne sont jamais ensemble dans le cadre, même la caméra ne peut les réunir. A terme, lorsque la dispute éclatera, la caméra les réunira dans le cadre, tout en tournant autour des protagonistes comme pour intensifier leurs échanges. Et le spectateur assistera alors à cet affrontement violent au sein d’un couple toxique, qui ne communique jamais vraiment, sauf lorsqu’ils se disputent.


Assez vite, la structure devient assez redondante : Monsieur donne un argument, il le développe pendant dix minutes, puis il part dans son coin, jusqu’à ce que Madame ait trouvé quelque chose à redire sur cet argument, qu’elle développera elle aussi pendant dix minutes. Et lorsque chacun effectue sa tirade, la victime de celle-ci semble toujours être en pleine error 404, incapable de protester ou d’émettre le moindre son. L’aspect crédible de la dispute en prend alors un coup, et on s’aperçoit assez vite que celle-ci tourne en rond, qu’il ne risque pas d’y avoir de gagnant à ce jeu-là.


Pourtant, à chaque tirade, les protagonistes vont plus loin dans la cruauté et l’absence de filtre. La première dispute à laquelle le spectateur assiste, bien qu’elle semble déjà violente, sonne rétrospectivement comme un échauffement. Marie, la muse de Malcolm, reproche à celui-ci de s’être emparé de son histoire d’ex-toxicomane (ce qui n’est pas sans rappeler le personnage de Rue qu’interprétait Zendaya dans Euphoria) afin de créer son film, là où Malcolm reproche à Marie de ne pas être capable de passer à autre chose. On ressent un climat de tension telle que lorsqu’ils réconcilient, Malcolm semble avoir peur de quitter la pièce, tant la possibilité que leur dispute reparte de plus belle une fois qu’il reviendra dans cette même pièce l’effraie. Malcolm et Marie connaissent ces mécanismes de dispute, car c’est une opposition vieille comme le monde : celle qui subsiste entre le créateur et sa muse.


Difficile de ne pas voir la part de lui-même que Levinson a incorporé au personnage de Malcolm, dans ce portrait du créateur mis face à toutes ses contradictions. Il affirme clairement haïr les critiques, pourtant il reste éveiller toute la nuit pour lire la première critique de son film. Il méprise les bien-pensants nés de famille riche, pourtant il est lui-même né dans un environnement plutôt aisé. Il reproche à sa petite amie de ne rien faire, alors qu’il s’est servi de sa propre histoire pour créer un film.


Au final, quelque chose de très théâtral émane de ce Malcolm & Marie, comme en témoigne une des dernières scènes du film dans laquelle les personnages semblent faire un debriefing de leur dispute. Que doit-on en retenir ? Tout cela a-t-il servi à quelque chose ? Non, rien n'a changé, et les mots tranchants qui ont été lâchés n’ont servi à rien d’autre qu’à prendre le pouls d’une relation certes passionnelle, mais ô combien destructrice. Malcolm & Marie, à l’instar de ses personnages, est un film qui hurle, qui bégaye, qui témoigne d’un sentiment urgent de gueuler quelque chose. Si le contexte dans lequel le film a été produit y est pour beaucoup, je pense également qu’il s’agit là d’un long-métrage à but libérateur, dans lequel Sam Levinson s’est débarrassé de toutes les émotions qui l’envahissaient et qu’il ne pouvait placer dans Euphoria. Cela donne un résultat bancal, mais passionnant, qui nous rappelle avec tendresse et pertinence qu’il faut parfois souffrir pour parvenir à créer.

SwannDemerville
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le 6 févr. 2021

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Swann

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