A 88 ans, Clint Eastwood en a encore sous le coude. Après le catastrophique « 15 h 17 pour Paris », le « ne m’intéresse pas une seconde » « Sully » et le génialissime « American Sniper », il revient.
« The Mule », c’est l’histoire d’un vieux de la vielle, un grigou vétéran du Vietnam (Clint Eastwood himself), horticulteur poussé à la retraite qui particulièrement endetté va se mettre à bosser pour un cartel de la drogue. Sa mission est de conduire à travers les States avec un pick-up bourré de coke. En parallèle un agent de la DEA (Bradley Cooper) qui arrive à Chicago avec la mission de bousculer les trafiquants de drogue.
Le scénario est, il faut le préciser inspiré de l’histoire vrai de Léo Sharp alias « El Tata » qui transitait de la came pour le cartel de Sinaloa.


Dans la pure lignée des meilleurs films de Clint Eastwood, « The Mule » est simple dans sa forme, compréhensible à moindres frais dans son discours mais diablement efficace, touchant, actuel et surtout suit une logique auteuriale indéniable. Encore une fois sous ces airs sévères et classique, le film d’Eastwood possède une élocution franche et passionnante.
En premier lieu et c’est une constante, dans son désir de célébrer le héros américain et de l’intellectualiser aussi, Eastwood choisit un personnage singulier au destin hors-norme, traité comme un symbole de l’Amérique ultra-libérale. « The Mule » est un film qui transpire l’Amérique de l’ancien temps, une version fantasmée (ou presque) des States, un territoire où tout est possible.


En premier lieu et ce qui est évident c’est l’ultra présence de la route, à tel point que le film est qualifiable de polar/road-movie, tant la route est un motif central. Outre la justesse de la mise en scène et même l’inventivité des plans de route, qui ne sont jamais redondant ; la route fait office ici d’arrêt dans le temps, si le personnage d’Eastwood prend la route, de son propre aveux c’est pour fuir ces échecs notamment familiaux et mettre en stand-by le temps qui le rapproche inexorablement de la mort. Si vous avez déjà conduit aux États-Unis, on ne peut que confirmer cette sensation du temps qui n’avance plus lorsqu’on est perdu au beau milieu d’une route droite, infinie bordée d’étendues titanesques qui ne semblent plus avancer. Cette liberté dans l’espace transparaît à tous les plans « sur la route », contre les séquences familiales plus fixes avec des cadres nécessairement plus resserrés et des profondeurs de champ plus faible, en effet c’est pour le personnage un carcan dans lequel il ne parvient pas à trouver sa place. C’est l’éternelle liberté de déplacement dans les espaces que le western puis le road-movie 70’s ont su représenter à juste titre.
La liberté, comme souvent chez Eastwood transparaît aussi dans le ton, sous prétexte qu’il est un vieillard Earl se permet un peu tout, il est ouvertement raciste et à même des propos homophobes, mais on est chez Eastwood ainsi les propos problématiques n’en sont pas, sous couvert d’humour les propos racistes ne sont qu’une façon d’inclure les membres de la société dans une joute verbale, à l’image de la scène au début du film avec les employés mexicains où celle où il s’adresse à une femme motard lesbienne, des instants à mettre en parallèle avec la cultissime scène du barbier de « Gran Torino ». Ce racisme bienveillant pourrait-on dire n’est tout de même pas affirmé comme valeur applicable, l’automobiliste qui a crevé le dit amicalement à Earl lorsque celui-ci affirme « que c’est agréable de pouvoir aider des noirs » : on ne dit plus ça aujourd’hui. Les temps ont changé, peut-être Eastwood le regrette-t-il, en tout cas c’est ainsi.
Autre thématique lancée dans le film qui résonne avec les possibilités de liberté c’est évidemment la présence d’un organe policier, la DEA, que l’on suit dans une enquête liée au personnage principal. Pourtant, si le personnage de Bradley Cooper est traité comme « un gentil », cool, sûr de lui, doué dans son travail, la DEA semble être l’organe répressif d’un état que l’on peut qualifier de castrateur. En effet si dans le western le shérif fait figure d’autorité locale c’est souvent au dépens des agents fédéraux, pareillement dans le film noir où le détective privé vaut toujours mieux que la police. De manière plus large le héros américain peut, ou préférera s’en sortir seul, l’état étant souvent une barrière sur la route des libertés individuelles. C’est bien sûr le cas ici de Earl, qui va choisir de bosser pour les cartels mexicains s’opposant de fait aux lois. C’est aussi la thématique de la dignité, la dignité de la vieillesse qui est abordé là, à 90 ans, Eastwood en est l’exemple : on est encore capable.
De plus à travers ce motif, Eastwood en profite au passage pour déplorer l’usage intensif du téléphone par les nouvelles générations, où encore le manque de crédit que l’on apporte aux vétérans. À l’image des truands qui chargent son pick-up, c’est le respect des anciens qui semble tenir à cœur d’Eastwood, l’agent de la DEA lui dit en substance : « c’est toujours bon d’écouter les conseils de quelqu’un qui a plus vécu ». Comme une sorte de fantasme de vieillard. Une idée critiquable mais apparemment chère au réalisateur. Un souhait pas forcément exaucé quand on voit le sort réservé au chef du cartel joué par l’excellent Andy Garcia, un bon gars, quoi que chef d’un cartel qui n’aspire apparemment qu’à jouir de tous les plaisirs et que se retrouve mort car jugé trop laxistes par de jeunes loups, plus violents, plus terribles.


Au-delà de cela, si la vieillesse est au centre du récit, il faut aussi l’envisager selon l’angle plus terrible mais aussi poétique du crépuscule de la vie d’un Homme. On aura beau se voiler la face, 90 ans c’est ce qu’on qualifie de fin de vie. Alors comme on l’a dit, les virées à travers la route, l’adrénaline du crime sont une façon d’affirmer son allégresse, sa soif de vie. Mais on ne peut s’empêcher de croire que la fin est proche et qu’il est temps de rendre des comptes. Dans le film c’est tout le segment scénaristique avec sa famille, sur lequel nous allons revenir, c’est aussi comme précisé dans le titre l’aspect crépusculaire de la mise en scène, que ce soit par la photographie où, nécessairement, tous les plans sur Eastwood que le temps n’a forcément pas épargné.


Le personnage est un ancien horticulteur qui a délaissé sa famille pour son travail et qui en fin de vie, tel ses fleurs, s’ouvre enfin. Évidemment et vous me voyez venir avec mes grands sabots, la métaphore n’est pas d’une grande finesse… Eastwood n’interprète ici personne d’autre que lui-même, et le choix de sa fille dans le rôle de… sa fille n’en est que plus logique. On imagine sans mal un homme plein de remords qui, c’est dit dans le film, a préféré son travail, obtenir des récompenses pour celui-ci et chercher tout le long de sa vie l’approbation de son milieu en délaissant sa famille. Pour se rattraper : l’argent, une autre erreur commise par le personnage. En outre, et j’avoue que la terminologie est un peu forte, mais on peut envisager le film sous l’angle testamentaire. En témoigne le plan final où Earl emprisonné vient de planter une fleur, puis dans un plan éloigné s’en va doucement, quittant le cadre ; on aperçoit d’autre taulards qui eux continuent à travailler, la question que pose ce plan c’est : serait-ce le dernier film d’Eastwood ou plutôt le baroud d’honneur ? Aussi, c’est tous les conseils que donne le vieillard sur la famille et le travail dans le film qui joue en cette idée. De plus l’emploi, pour la seconde fois, de Bradley Cooper n’en est que plus logique. On sait la considération mutuelle entre les deux comédiens/réalisateurs, dans le film le personnage de Cooper n’est autre qu’un double plus jeune du personnage de Eastwood, reproduisant les même erreurs que lui à son âge. En outre le parallèle peut-être fait entre les deux stars, où en tout cas entre les deux générations ; ainsi les conseils de Earl valent autant à l’agent de la DEA, qu’à Bradley Cooper, qu’à nous tous. Cet aspect moralisateur à son fils spirituel joue en la faveur du testament.
On peut aborder aussi l’aspect référentiel du métrage et ses relents de western, de polar ou la scène d’arrestation qui fait inexorablement penser à la scène finale de « Gran Torino » qui peut être envisagé comme un résumé de sa carrière.
Aussi et c’est l’un des aspects les plus présents du métrage, on ressent l’envie de se faire plaisir à tous les moments avec un personnage écrit sur mesure. De la musique populaire tout droit venu des 50’s que Eastwood chantonne gaiement, beaucoup d’humour dans le métrage et surtout de situations plus que plaisantes où on s’amusera de voir Earl batifoler avec des bombas latinas de 3 fois moins que son âge.
Ainsi et aussi immoral que cela puisse paraître c’est dans le trafic de drogue, dans le cartel (dont les membres sont en majorité traités comme des types cool et tranquilles), dans l’appréciation des petits plaisirs de la vie, en prenant son temps que le personnage va trouver un second souffle qui va lui permettre de rattraper le coup avec sa famille et de survivre à la chute de son entreprise.


« The Mule » est donc un putain de bon film, filant sa métaphore tout le long d’un polar assez efficace, calme en apparence mais remplit d’audace scénaristique malheureusement trop rarement en termes de mise en scène, hormis quelques séquences ici et là (la fiesta dans l’hacienda du cartel, la scène d’arrestation et les derniers plans). Le casting est impeccable, avec évidemment Clint Eastwood en tête qui réussit à gérer la casquette d’acteur principal, de producteur et de réalisateur. En bref, c’est un film qui m’a touché, qui défend des valeurs que je trouve intéressantes et si les thématiques ne résonnent pas en moi de manière directe, vu mon âge, Eastwood réussit à être universel, discursif, efficace. C’est du tout bon.

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le 25 janv. 2019

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