Gran Torino avait des allures de passage de flambeau à la nouvelle génération, cosmopolite et méritante, mais La Mule de Clint Eastwood, lui, s’inscrit comme une sorte d’adieu, un road movie funéraire, une oeuvre qui ne cesse de se questionner sur les choix de son personnage – de son acteur en somme – qui s’avère imbibé par les regrets et les remords sur les choix qu’il a pus faire dans sa vie.


Il est presque impossible de ne pas penser à Gran Torino lorsque l’on regarde La Mule. Après 10 ans d’absence devant sa caméra, Clint Eastwood revient avec sa silhouette voutée, une peau presque décharnée, l’oeil nerveux et une voix cabossée. C’est l’histoire d’un homme qui a tout sacrifié pour des fleurs, des hémérocalles, pour devenir quelqu’un mais qui a délaissé sa vie de famille, oublié sa fille. Au bord de la faillite, ruiné et seul, il va devenir une mule pour des cartels de drogue. Pourtant, la seule chose qu’il est impossible d’acheter, c’est le temps et il aura beau parcourir le Texas, gagner de l’argent par le biais de la drogue, offrir des banquets à sa petite fille ou faire réouvrir des commerces de quartier, les cicatrices resteront les mêmes.


Après des années de disette, où l’on voit le cinéaste bricoler des films bancals, voire paresseux dans leur mise en abime du patriotisme, que cela soit American Sniper ou J.Edgar, Clint Eastwood revient sur le devant de la scène, à la fois devant et derrière la caméra. Cependant, la lueur des beaux jours et des grands films est encore loin. On pourrait reprocher bien des choses à ce long métrage. Premièrement, son intrigue policière, vaguement palpitante et écrite sous le coude, et qui sert de simple subterfuge pour Clint Eastwood à mettre en lumière son successeur et son « fils spirituel »: Bradley Cooper. Et puis, à l’image de Gran Torino, La Mule voit en la figure patriotique de son personnage, un homme rugueux, en déconnection avec son époque.


Certes, les deux films se rejoignent avec cet humour corrosif, sous le regard malicieux de Clint, mais cette fois ci, les traits sont aussi fins qu’un tweet de Donald Trump, dont la vision essorée de l’Amérique trouble. Le film en devient non pas ambigu, mais plus flou que cela, où le jeu de l’autodérision se parodie et devient un peu rance. Sa morale sur l’Homme qui reste sur son téléphone et qui oublie de profiter de la vie, Internet qui ne permet pas aux Hommes d’être de vrais hommes pouvant s’occuper de leur famille sur le bas côté de la route, son petit tacle sur la terminologie raciste vis à vis des noirs, son regard interloqué et vieillot sur le lesbianisme puis son imagerie cinématographique poussiéreuse des mexicains.


La Mule, dans son écriture, à notre époque, devient presque une anomalie avec une liberté de tons qui fait autant rire que grincer. Là où Hollywood s’acharne à faire marcher l’usine à Oscars avec des oeuvres bienveillantes et fédératrices, Clint Eastwood se met en marge comme il l’a tout le temps fait et se contrefout totalement de prendre le pas de la culpabilité américaine. Culpabilité hollywoodienne, qui derrière ses messages de liberté et d’ouverture, n’a de cesse de vouloir se laver les mains de ses péchés de manière plus ou moins hypocrite. Pourtant, dans le film, la culpabilité existe, mais s’avère plus intime et inéluctable, tout comme The House that Jack Built de Lars Von Trier : deux films qui voient deux monstres du cinéma contemporain, balancer leur flegme ténébreux et leur pensée sombre mais qui se savent d’emblée coupable soit pour la prison soit pour l’enfer.


Le personnage, lui même, se définira comme « coupable », coupable d’avoir cru qu’être quelqu’un était le sommet d’une vie. Coupable d’avoir été ricaneur avec les amis et distancier avec la famille. Coupable d’avoir été un père médiocre, et un mauvais mari. La Mule, c’est un peu, à l’image de Logan de James Mangold, un film de super héros, qui fait tomber la cape et les armes à feux, où les regrets ne peuvent se racheter mais au contraire deviennent dégénératifs.


Un road movie, dans une bagnole qui a plus le symbole d’un corbillard qu’autre chose, qui sillonne une Amérique qui fluctue, et qui entrevoit des anciennes silhouettes scintillantes aux muscles saillants changer en des corps grelotants, vieillissants et mortifères. Leur seul pouvoir, c’est d’avoir le recul nécessaire pour admettre leurs erreurs et savoir, un jour dire stop, se mettre sur le côté et sortir du champ. C’est en cela que le film tire toute sa sève et sa beauté, une oeuvre bancale et qui se sait parfois en marge, mais scintille par sa tristesse et sa mélancolie sur le temps qui passe.


Article original sur LeMagduciné

Velvetman
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le 30 janv. 2019

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