Qu'est-ce que je suis heureux de ne pas voir la carrière de Clint Eastwood s'achever sur cette horreur qu'est le 15h17 pour Paris. The Mule est le film de la réconciliation, donc. Pourtant ça ne commence pas super bien. L'intrigue est décalquée sur celle de Breaking Bad, les salops sont les chicanos, et Internet et par extension le monde moderne sont la cause de tous les maux... Papy Réac persiste et signe. Sauf que le film ne suit pas ce chemin-là, et le personnage que Clint endosse est un personnage sublime, un homme broyé par le monde moderne, qui a travaillé toute sa vie et qui aujourd'hui n'a pas d'autre moyen pour survivre que devenir passeur de drogues à 88 balais, parce l'état de délabrement de la société dans laquelle il vit ne lui permet pas de survivre : pas de sécurité sociale, pas de retraite, et plus moyen d'exercer son activité puisque internet a pris la place. Le film est aussi une magnifique demande de pardon qu'Eastwood envoie à sa famille, s'excusant de n'avoir pas été auprès d'eux pour privilégier sa carrière, et ce n'est pas pour rien que le rôle de sa fille, qui refuse de lui parler, est joué par sa propre fille. Un autre film récent avait traité magnifiquement de cette question, le superbe Interstellar, dont Eastwood propose ici une version tellement plus simple, épurée, allant à l'essentiel sans rien perdre de sa poésie, tel un haïku. Joie aussi de retrouver de la lumière dans ses films tous devenus gris (il a bien fait de changer de chef op), de voir autant d'humour aussi, et de filmer un vieillard en pleine forme, qui passe son temps à baiser ou se coller à des femmes qui ont l'âge d'être ses petites-filles. La vieillesse est aussi abordée dans la joie et l'hédonisme, même si le fond plombant finit toujours pas le rattraper. Et puis quelle fin, merveilleuse ! Ce personnage qui au procès s'accuse lui-même et finit en prison, où il mourra, c'est une évidence, en faisant pousser ses lys, qui ne vivent qu'une journée. C'est la brièveté de la vie qui est ici évoquée de manière bouleversante. Et c'est la joie de cet homme qui se doit d'être en prison pour faire la chose qu'il aime le plus au monde (s'occuper de ses fleurs), parce que la société ne lui permet plus de le faire à l'extérieur. C'est bouleversant. Je souhaite encore une longue vie à Clint Eastwood, bien sûr, mais en tout cas ce film serait un magnifique chant du cygne.

FrankyFockers
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le 25 mars 2019

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