La Nina de Fuego, Carlos Vermut, 2014


La Nina de Fuego sort en Espagne sous le titre original de « Magic Girl ». Magic Girl, c’est d’abord Alicia, 12 ans, atteinte d’une leucémie. Vivant seule avec son père, celui-ci découvre dans son journal intime l’un de ses vœux les plus chères : posséder le déguisement de Magic girl Yukiko, héroïne magicienne de manga, personnage fictif qui se trouve finalement au cœur du thriller. Luis, professeur de littérature au chômage, en vient à faire du chantage pour récupérer 7000 euros, le prix du costume. C’est là qu’intervient Barbara, l’autre Magic Girl. Magique par la série de contradictions qu’elle incarne. A la fois glaciale par sa beauté, sa présence, et « fille de feu », car imprévisible, jamais là où on l’attend. Barbara est prête à tout pour céder au chantage, quitte à souffrir. Le thriller se tisse ainsi, dans une tonalité cynique et singulière, dont le brio réside dans sa capacité à terrifier, à surprendre non pas en montrant, mais en suggérant. Carlos Vermut parvient à saisir sur tous les plans son spectateur, pris par les charmes de Barbara, mais aussi par le suspense de l’intrigue.
La Nina de Fuego procède par une série de flash-back, de manière labyrinthique, chaque scène faisant sans cesse référence à d’autres moments de l’intrigue. Le spectateur a le sentiment d’être pris dans un engrenage infini, toujours surpris par une série de rebondissements, et découvrant allégrement, et sans cesse, de nouveaux éléments. Le réalisateur joue ainsi sur les ellipses et le hors champs. Ce récit clôt sur lui-même donne l’impression au spectateur de ne jamais en sortir, et de se perdre dans une toile infinie de liens insoupçonnables. Un thriller habilement construit qui maintient une atmosphère vivante, sans cesse en mouvement. En procédant de cette manière, Carlos Vermut choisit de jouer avec l’imagination du spectateur, en maintenant un sentiment de frustration. Ne montrant jamais l’horreur des faits, mais seulement les conséquences, le spectateur se prend à imaginer le pire, et rend finalement le thriller encore plus glaçant que si les faits n’avaient été montrés frontalement. La folie de Barbara joue aussi son rôle. L’insaisissable Barbara, dont on ne peut jamais prévoir les prochaines intentions, crée du côté de la réception un sentiment d’incertitude qui brouille les attentes. Là encore, c’est au spectateur d’imaginer à quoi pense réellement Barbara. Qui est-elle ? L’horreur s’accumule alors : leucémie, prostitution, sadomasochisme, meurtre… Pourtant, et c’est là qu’est blottie la subtilité du travail, le spectateur, jamais mal à l’aise, reste capté : un film violent, mais à aucun moment obscène.
Les influences de Pedro Almodovar sont donc bien visibles. Elles transparaissent par cet enchevêtrement de situations, mais également dans la tonalité tragi-comique du récit, empreint d’humour et de cynisme. L’absurdité de certaines situations, le regard insolent sur ses personnages : c’est un thriller drôle, et même un drôle de thriller que Carlos Vermut nous donne à voir. Mais il n’en serait rien s’il n’y avait pas Barbara, la Nina de Fuego, terriblement glaciale, et terriblement glaçante. Elle évolue au rythme de ses pulsions, ne communiquant jamais rien, et ne semblant jamais rien recevoir. A la fois froide et indépendante. Son caractère insaisissable provoque le désir du spectateur qui prend plaisir à la voir évoluer, et ressent parfois le sentiment de la saisir sans finalement jamais l’atteindre. Une ambiguïté dans la réception qui rejoint celle du personnage : elle incarne à la fois douceur par ses traits, son calme, sa passiveté, et dureté lorsque ce qu’elle renferme transparait. Une ambivalence qui rend le personnage aussi incompréhensible que séduisant. Carlos Vermut aime jouer sur toutes ces dualités, et c’est bien ce qui rend le film plus que tout vivant, détonnant, et explosif.

Clara31
9
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le 22 nov. 2015

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