Allégorie de l'effondrement - Critique et interprétation de La nuée

Le premier film de Just Philippot est une réussite. Il n'est pas parfait mais il vaut le coup d’œil et donne envie de suivre son travail. Sa mise en scène est particulièrement soignée, notamment sur les lents travellings inquiétants et les gros plans des sauterelles. C'est subtil (pas de &*!$+# de jump scare), bien dosé et on reste tendu du début à la fin, sentant que la catastrophe pourrait arriver n'importe quand. Par ailleurs, le travail de Romain Carcanade, le directeur de la photographie, sur les scènes de nuit est remarquable.


Les acteurs sont également très bons, en particulier Suliane Brahim, parfaite en veuve qui sombre progressivement dans la folie.


On pourrait chercher des poux au scénario. Certains éléments semblent relever de la facilité d'écriture mais il faut bien garder à l'esprit que ce qui compte avant tout dans ce film, c'est sa portée symbolique. La nuée est une fable dans laquelle chaque personnage représente un concept. Je partage mon interprétation en fin de critique si cela vous intéresse.


La nuée s'inscrit donc dans la lignée de L'heure de la sortie, qui était lui aussi une allégorie de l'effondrement à sa manière, plus axée sur l'environnement que sur les effets pervers du système capitaliste libéral.


Après Grave et L'heure de la sortie, La nuée confirme que le fantastique a parfaitement sa place au sein du cinéma français. Espérons que l'aversion des financeurs français pour le cinéma de genre appartienne au passé et que d'autres films de cette trempe suivront.


Interprétation personnelle


David Lynch a dit : "I don't ever explain it. Because it's not a word thing. It would reduce it, make it smaller." et "A film or a painting – each thing is its own sort of language and it's not right to try to say the same thing in words."


Vous lisez donc ce qui suit à vos risques et périls.


D'après ce que j'ai compris, La nuée est une allégorie de l'effondrement. Résumons le film en remplaçant Virginie par "la génération X", Laura par "la génération Y", Gaston par "la génération Z" et les sauterelles par "le capitalisme" et voyons si ça marche.


La génération X fait face à des problèmes économiques. En discutant avec la génération Y, elle propose de laisser tomber le capitalisme à court terme et de passer à autre chose. La génération Y est ravie.
Plus tard, la génération X découvre qu'en sacrifiant une partie de son être, le capitalisme peut se renforcer et devenir viable. Elle s'engage dans cette voie et développe le capitalisme en allant toujours plus loin à l'encontre de l'éthique. Tout ce qui compte alors pour la génération X, c'est la survie à court terme. Elle ne voit pas venir la catastrophe à long terme que, nous, spectateurs, sentons arriver dès le début.
La génération Y se rebelle car le capitalisme devient inquiétant et la génération X ne va pas bien. Mais grâce au capitalisme, la génération X peut offrir un scooter à la génération Y. La génération Y est apaisée et oublie ses problèmes.
Dans tout ça, la génération Z n'a pas son mot à dire. Elle ne comprend pas encore la menace qui pèse sur l'humanité mais sent malgré tout que quelque chose cloche. Cependant, lorsque la nature (la chèvre et, plus tard, son arbre) est attaquée par le capitalisme, son premier réflexe est de la défendre, sans chercher à comprendre les tenants et aboutissants de la menace. Tout ce qui compte, c'est de la préserver. Bref, une vision diamétralement opposée à celle de la génération X pour qui seul le développement du marché capitaliste compte.


La génération Z est définitivement écartée des discussions et l'effondrement commence. Un humain perd la vie et le capitalisme, libéré de toute barrière après une crise incendiaire, menace toutes les générations. La génération X n'a alors plus d'autre choix que de se sacrifier pour sauver la génération Y.


Pour sa part, Karim représente l'immigré. Celui qui cherchait naïvement une vie meilleure en croyant aux bienfaits du capitalisme ("j'avoue, ce vidéoprojecteur, c'est la première chose que j'ai achetée") et qui découvre que ce n'est pas si simple. Rejeté par certains locaux, et aidé par d'autres, il rencontrera une fin tragique en essayant de mettre un terme trop abrupt et irréfléchi au "capitalisme" qui ne se laisse pas détruire aussi facilement.

JackFost
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le 31 janv. 2021

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