Je ne connais pas Truffaut, ou très mal. Dans ses contemporains, j'ai toujours priorisé les Godard ou les Resnais, et j'ai un peu honte de l'avoir autant délaissé durant ces dernières années cinéphiliques. Avant la Nuit américaine donc, je n'en avais vu qu'un seul : l'Homme qui aimait les femmes, une incursion dans la routine d'un séducteur, qui prenait des airs de thriller psychologique.
J'avais pris un pied monstre mais je n'avais pas pris la peine de poursuivre. Pour tout avouer, j'ai toujours eu un léger à-priori sur Truffaut, le reléguant un peu facilement au rang de classiciste virtuose, parmi les modernistes de la Nouvelle vague. On devine à peu près tous ce que le cinéma de Godard peut avoir d'innovant, d'inédit, d'inhabituel. Mais chez Truffaut, c'est bien plus discret et globalement plus référencé : le mec ne jure que par le cinéma de Orson Welles ou de Raoul Walsch, composant des peintures certes dynamiques et jeunes mais peut-être moins libertaires que celles de JLG ou de Alain Robbe-Grillet.
C'est peut-être faux, mais c'est en tous cas l'impression que j'en ai après deux films. Et j'attendais particulièrement la Nuit américaine au tournant parce que c'est un film sur le cinéma.
Pour qui ne connait pas, l'argument est plutôt simple : François Truffaut se met en scène dans la peau d'un cinéaste français, Ferrand (en vérité, himself évidemment), sur le tournage d'un film, Pamela. Il est amené à diriger une troupe d'acteurs parmi lesquels le génial Jean-Pierre Léaud, tous plus névrosés les uns que les autres. Et c'est tous les déboires, les difficultés techniques, et les situations qui vont se créer au sein de cette petite épique que Truffaut se décide de filmer.
Bref contextualisation historique. Nous sommes alors en 1972, et la Nouvelle vague a rendu l'âme depuis plusieurs années. Depuis Pierrot le Fou, Jean-Luc Godard, le grand pote de François Truffaut, a pris du galon et de la maturité, et ses nouveaux films lorgnent méchamment vers l'expérimental, avec une connotation très politique. Et on peut concevoir que Godard ait accueilli avec le plus grand mépris du monde la légèreté bon-enfant de la Nuit américaine, allant jusqu'à l'exprimer à son réalisateur. La Nuit américaine marquera cette césure entre Godard et Truffaut et la fin d'une belle histoire d'amitié.
Et pourtant, moi, je veux bien comprendre Jean-Luc Godard. Il faut dire ce qui est : la Nuit américaine est un film infiniment sympathique mais il suit des schémas quelque peu convenus, classiques et prévisibles, et il n'est pas d'une grande objectivité et d'une grande neutralité à l'égard du milieu du cinéma. Moins que la réalité du tournage, c'est le fantasme que s'en fait Truffaut qui est capté.
Avec tout son charme désuet, ses rencontres et ses tromperies improbables, ses histoires de cul entre acteurs ... Certes, on en apprend beaucoup d'un point de vue purement technique mais on a le droit de penser que François Truffaut le cède au spectacle.
Et pourtant, la mise en abîme (un film dans un film) instaure une dialectique du vrai et du faux plutôt passionnante. Où commence la fiction ? Si les noms des acteurs ont été changés, il me semble que Jean-Pierre Léaud, qui joue ici l'acteur principal du film, avait bien cette réputation de gamin capricieux qui est dépeinte dans le film. C'est assez jouissif de voir ce défilé de têtes connues s'aimer et se foutre sur la gueule. Jusqu'où les acteurs jouent-ils leur propre rôle ? On ne sait pas trop, et c'est précisément cela qui rend le film si attachant et si générationnel. Et le cinéaste a une tendresse toute particulière et communicative pour ses acteurs.
Mais la Nuit américaine est surtout une magnifique déclaration d'amour au Cinéma de la part de François Truffaut, qui laisse ici exploser les hommages et les inspirations : une affiche de Citizen Kane, des bouquins sur Bergman, Godard ou Welles ...etc.
C'est pour ça que si le film doit se juger en tant que document sur le cinéma, il ne peut que décevoir parce qu'il se déploie sur du volontarisme et du factice. Mais tout cela transpire tellement la sincérité que l'on pardonne tout, et que l'on n'y fait pas attention. On finit par accepter de se laisser porter par la légèreté de ce joli film, peut-être pas immense, mais suffisamment percutant et honnête pour toucher.