Truffaut fait un film sur le cinéma. Vu la présence de ce medium dans chacun de ses films, avec toujours au moins une façade de salle de ciné de visible dans un plan, je suppose qu'il fallait que ça arrive à un moment dans sa carrière.
Le générique de début présente deux pistes sonores sur le côté de l'image. Truffaut fait déjà allusion à des choses qui ne sont pas entièrement compréhensibles par tous, et par la suite dans le film il fait parler ses personnages de termes techniques relatifs à un tournage.
Il y a aussi diverses allusions qui requièrent une certaine cinéphilie : la référence au fait qu'en Italie les paroles sont doublées en post-prod, et les blagues de l'équipe du tournage du genre "il est pas raccord ton tricot", ou "je l'ai appelée la 12 et demie".
"A movie for people who love movies" dit le slogan US. C'est pas faux, dans le sens où on retrouve dans les répliques des propos qui sont ceux de cinéphiles et certainement celles d'une équipe de tournage, et je sais que les blagues du film sont typiquement celles que je peux faire avec mes comparses d'école de cinéma. Je trouve que le film vise juste, et je me suis senti concerné, quand un technicien dit "ne parlez pas de cinéma" quand ils font un son seul de murmures. Mais je me demande quand même à qui s'adresse vraiment le film en étant si spécifique. Sûrement à bien moins de gens qu'on n'a voulu le laisser penser. A mon avis Truffaut a fait un film pour lui et un nombre réduit de personnes, sans se soucier du public qui le recevrait, déléguant ça aux publicitaires, et faisant croire aux producteurs que son film peut s'adresser à un public suffisamment large.
Ce qui fait plaisir en tout cas, c'est d'enfin voir un film sur le cinéma qui... donne une vraie représentation d'un tournage. Pas comme ceux qui font que toute une séquence est tournée d'un coup, et qu'une erreur dans une partie fait foirer un ensemble.
De nombreuses ficelles des coulisses d'un tournage nous sont montrées, au passage, au cours de l'histoire. On découvre une fausse bougie qui peut s'allumer mais qui cache une lampe, permettant de mieux éclairer l'actrice pour la filmer ; je ne connaissais pas ça. On se rend compte aussi un peu mieux compte de la place de l'improvisation, des heureux hasards : le réalisateur voit un vase qui lui plaît dans un hôtel, il le prend pour un de ses décors. Pour une scène d'accident, il doit prendre une décision concernant la voiture utilisée, et il discute pour savoir si on peut en repeindre une en bleu. Je suppose que c'est le genre d'éléments auxquels la plupart des personnes ne pensent pas en général, et même moi je ne me rendais pas compte à ce point, d'autant plus que pour le moment je n'ai pas été confronté à ce genre de choix.

Le réalisateur apporte d'autres précisions en voix-off, essentiellement pour exposer son point de vue sur son métier. Il compare un tournage à un trajet de diligence dans un western : on espère fait un beau voyage, et au final on espère juste arriver à destination.
Truffaut joue lui-même le rôle du réalisateur. Bizarrement, il donne à son personnage un défaut qu'il n'a pas, la surdité. Ca me fait penser à Lloyd Kaufman qui se met en scène dans Terror firmer en tant que réalisateur aveugle. Truffaut a d'ailleurs sur certains plans un faux-air de Lloyd, un de ses assistants plutôt rond fait rapidement penser à Yaniv Sharon, et il y a dans les deux films concernés une grande importance accordée aux relations entre membres de l'équipe.
Si j'avais pu avoir vu La nuit américaine à l'époque où j'ai vu le scénariste Douglas Buck, ça lui aurait sûrement plu que je compare Terror firmer au film de Truffaut, déjà qu'il était surpris par mon rapprochement avec Dressed to kill et qu'il disait qu'il le raconterait à Lloyd Kaufman, qui en serait certainement enchanté. Bon, si un jour je vois Lloyd aussi...
Et, pour relier encore davantage les deux films, La nuit américaine présente également le cauchemar d'un réalisateur qui voit son film saboté par divers évènements. Une actrice qui boit à cause de son fils leucémique et qui s'embrouille sur le plateau, une autre actrice qui a caché être enceinte, une séquence compliquée qui disparaît au développement, un policier qui fait chier à proposer ses idées de film à la con, ...
Il y a une scène d'un chat qui ne fait pas ce que l'équipe voudrait de lui, à savoir aller boire du lait sur un plateau. Il s'en approche chaque fois un peu plus, sans le faire. Un autre félin tourne autour du plateau, sans s'attaquer à ce qu'il y a dessus. En voulant représenter quelque chose qui tourne mal, Truffaut a sûrement eu plus de mal que son alter-égo fictif, pour faire faire au chat l'inverse de ce que voudrait son personnage.

Il y a en plus, durant cette même scène, un assistant opérateur qui a du mal avec le point.
J'avais d'ailleurs déjà vu ça, en moins marqué, dans d'autres films de Truffaut. Dans celui-ci aussi, même, en dehors des passages de film dans le film. Est-ce qu'aujourd'hui on accepterait encore ça sur un tournage ?
Durant un plan-séquence, et également un mouvement de grue, la caméra a du mal à suivre ou à rester stable aussi.
Il faut croire que ce type de défauts fait partie du cinéma de Truffaut, étant donné déjà le nombre de films de lui que j'ai vu. Quelles que soient les bonnes idées dans ses films, il y a toujours de petites erreurs, de petites maladresses.
Dans le cauchemar de Ferrand, à la fin le gamin (lui jeune) qui file après avoir volé des lobby cards de Citizen Kane quitte le premier plan en courant, et au fond on peut voir une enseigne "surdité". Et le personnage, adulte, est sourd. Est-ce que cette enseigne est là de façon visible volontairement ou non ? Dans les deux cas, Truffaut aurait dû tout faire pour éviter qu'on la voie, car dans un cas le message est lourd, dans l'autre il détourne l'attention et donne l'impression qu'il y a un message lourd.
Je ne saurais dire ce qu'il en est vraiment (et on ne peut plus demander à Truffaut), et le fait qu'un acteur qui meurt dans le film ait dit auparavant qu'il n'est jamais mort de façon naturelle confirme que Truffaut pense à relier divers moments de son scénario. Mais en même temps, ce "surdité", qu'est-ce qu'il voudrait dire ? Que le type va devenir sourd ? Super.
Je crois qu'il faut se rendre à l'évidence que, sur certains coups, Truffaut ne sait pas se montrer fin. C'est comme quand le personnage qu'il joue étale pleins de livres de ciné sur une table, vus en gros plans, et qui ne semblent être là que pour balancer quelques noms de réalisateurs connus visibles sur les couvertures. Il y a même un gros plan à un moment sur une "rue Jean Vigo"...
Les choix de Truffaut sont, d'un point de vue contemporain du moins, discutables, quand il dispose des plans figés sur des couloirs par exemple. Voulait-il qu'on remarque ou non que ce sont des images fixes ? Je ne sais pas, mais dans Domicile conjugal déjà, il y avait un effet de ce genre particulièrement mauvais.

Alors qu'il propose souvent des réflexions très intéressantes dans ses scénarios, Truffaut fait quelques maladresses sur ce point-là aussi. "Est-ce que les femmes sont magiques ?", questionnement qui revient plusieurs fois, paraît plutôt absurde, et non poétique ou romantique, la première fois.
Ferrand nous offre aussi comme réflexion, après la mort d'un des acteurs, que ça marque la fin d'une époque pour le cinéma, et que bientôt on ne tournera plus que dans la rue et sans scénario. Hein, quoi ?
Et à côté de ça, il y a quand même des répliques bien écrites. La discussion où "Le parrain" permet de dériver sur un autre sujet, le filleul de quelqu'un, est bien trouvée.
Il y a quelques répliques intéressantes, sur le cinéma dans le cas présent, même si je n'ai pas autant trouvé mon bonheur que d'habitude.
Je retiens le "Pour un film, je pourrais quitter un type, mais pour un type je ne pourrais pas quitter un film". Les points de vue divergent entre plusieurs personnages : est-ce que la vie est plus importante que les films ? Même le personnage de Léaud, montré comme allant toujours au cinéma quand il n'a rien à faire, optant pour ça tandis que les femmes préfèrent visiter le terroir ou autres activités du même acabit, finit par privilégier sa vie privée au cinéma, alors même que Ferrand tente de le convaincre qu'ils sont des gens faits pour leur travail.
Si le personnage de Truffaut reflète sa vraie personnalité, je pense qu'il n'y a aucun doute le concernant. Et comme on a pu le remarquer tout au long de sa carrière, il aime entremêler ses fictions avec sa vie privée. Pour "Je vous présente Pamela", il réutilise son vécu dans son film, reprenant les paroles d'une actrice déprimée pour en faire le texte de son personnage. Je pense que ce serait mon type de démarche aussi.

Au final, me suis toujours demandé à qui s'adressait le film et ce que Truffaut voulait raconter. Les amourettes qui parcourent le film ne m'ont pas semblé assez consistantes, surtout que le réalisateur a fait le choix de ne pas réellement les suivre, mais plutôt de montrer des relations de façon décousue, et de créer la surprise à la fin en faisant découvrir que telle personne va se marier avec une autre alors qu'on ne les a jamais vu ensemble jusque là.
Si Truffaut a voulu faire savoir comme on a du mal à faire un film, à réfléchir aux dialogues en profondeur, et donner une idée de ce qui se passe durant un tournage, j'ai sûrement trouvé moins d'intérêt en cette Nuit américaine que les cinéphiles qui ne connaissent le cinéma que par le visionnage de films.
Fry3000
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le 19 févr. 2012

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Wykydtron IV

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