Confirmation : le cinéma est bien le lieu du miracle

Revu 13.11.2018 (salle)


Avant dernière vision 24.04.2009 (écran ordinateur)
Une nuit d'été, de celles au nord qui ne connaissent pas le noir total. Claquent au vent des draps tendus et vierges, en attente peut-être de la Parole qui reste à y écrire... On pourrait penser presque à ces prières bouddhistes écrites sur ces "fanions" himalayens. Johannes, du nom de l'évangéliste le plus théologien de tous, l'un des trois fils de la ferme Borgen, s'est encore éclipsé en pleine nuit aspiré par quelque appel et à la grande inquiétude du reste de la famille, éparpillé dans les herbes à sa recherche comme un troupeau décimé... Le voici, ses yeux sont ceux d'un illuminé, sa démarche est solennelle et lente, comme écoutant une voix intérieure et ses mots sont ceux qu'il connaît par cœur et de cœur... L'image est celle d'un sermon sur la montagne adressé au vent et aux dunes...


Dreyer, comme le vent, les dunes, va balayer pendant tout le film les spectres d'un extrême à l'autre, d'un point de vue à l'autre, par des panoramiques en balancier qui ne trouveront leur point fixe que lors de l'apothéose final sur la tête même de Inger 'ensommeillée'...
Ces mouvements sont comme la trace incarnée de ces échanges d'idées qui remplissent l'espace et organisent la vie d'une maison. Le balancier de l'horloge sera d'ailleurs arrêté à un moment... comme si le va et vient du tic tac et son pouvoir de vie et de mort allaient désormais être pris en charge par la caméra et son médium, Johannes, qui arpente la propriété en aller retours solennels incessants et imprévisibles...


La photo balaye également toutes les nuances de gris passant du noir des âmes endolories et souffrantes au blanc pur de la bonté de cœur. Dreyer orchestre donc ces échanges et ces mutations de tons, ces transformations de l'âme jusqu'à la métamorphose la plus énigmatique qui soit, celle de l'apothéose finale et de la Parole changeant ce qui était mort en vie, métamorphose annoncée par la transfiguration de Johannes dont les yeux au revenir d'une ultime fugue ont retrouvé l'éclat de la raison et par la main tendue de Peter à Morten, surmontant l'irréconciliable.


À l'instar de ces mouvements panoramiques en balancier (parfois prolongés par des travellings), Dreyer a organisé le déplacement des acteurs comme un balancier rythmique, 'métronomé' par la lenteur et parfois arrêté par la parole de Johannes, mais toujours "motivé" par le vent de l'esprit qui hurle en sourdine tout au long du film ou presque.


La préparation dramatique du final et le final sont d'ailleurs un chef d'œuvre en soit, elle commence en fait dès le début même, elle est le film même et le cinéma lui-même: un miracle permanent.

JM2LA
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le 20 déc. 2016

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