Quand l'Histoire de France rencontre celle du Cinéma
La chaîne Allociné TV va disparaître d'ici le mois prochain et dans un dernier souffle nous permet de découvrir une des œuvres les plus importantes de l'histoire du cinéma, sorte d'hybride involontaire de muet et de parlant. Pourtant, bien que tout ou presque ne soit qu'un incroyable concours de circonstances, le film apparait comme avant-gardiste, apportant énormément pour les techniciens du cinéma tout en revisitant l'un des pans les plus intéressants de l'histoire de France.
Le premier bon point du film réside dans le fait qu'il oublie volontairement le côté épique de la pucelle d'Orléans : les batailles sont passées, les victoires ne servent plus à rien et Jeanne doit affronter son destin tragique face à un tribunal lui interdisant toute marge de manœuvre. On peut alors découvrir une jeune femme de 19 ans apeurée, déboussolée et en proie aux machinations de juges ecclésiastes intransigeants et même pourrait-on dire corrompus. Pendant 1h40 nous allons suivre les différentes étapes d'un procès dont on connait déjà la fin : même un ermite en retrait de tout ce qui concerne ou a concerné le monde peut le comprendre, Jeanne d'Arc doit être jugée coupable pour répondre aux attentes de l'Eglise qui ne peut décemment pas accepter qu'une jeune paysanne puisse avoir communiqué avec Dieu.
D'ailleurs, dès le début du film, le réalisateur nous explique que le compte rendu du greffier du procès de Jeanne d'Arc permet aisément de saisir la situation ainsi que les caractères des différents protagonistes, abolissant le mythe de la pucelle d'Orléans pour adopter le point de vue de l'héroïne malgré elle, la force du destin à l'œuvre. Et s'il l'on peut observer cette femme douter de sa volonté, torturée par ses bourreaux, forcée d'admettre une vérité qui n'en est pas une et finalement brûlée vive, jamais on ne cesse de croire en elle, en sa force. Fervente croyante, elle s'imagine que Dieu lui a donné une mission, dont elle a peur et on ne saura jamais d'où lui venaient ses voix intérieures. Le constat reste le même : Jeanne d'Arc, comme Jésus Christ voit ses derniers instants arriver et si elle trébuche, se relève aussitôt pour bouter les anglais hors de France, pour sauver un peuple et redonner du courage à toute une armée.
L'autre point indéniablement positif du film réside dans ses qualités techniques. Comme pour les exploits de Jeanne d'Arc, cela peut-être sujet à controverse mais le résultat est là. Des plans très serrés, des gros plans sur les visages, des regards et des dialogues manifestement travaillés pour un film parlant permettent au film de prendre une toute autre ampleur. Comme quoi, un manque de moyens financiers n'est pas forcément obligatoirement signe de faiblesse pour un film. Et comme pour la légende dont on raconte l'histoire, le film devra survivre aux épreuves du temps et de la censure pour qu'aujourd'hui on puisse accéder à une œuvre passionnante. Les décors gigantesques ne sont presque pas utilisés et les acteurs sont plus que suscités, ce qui donne au film un côté véritable et vérifiable. Concernant la véracité des faits historiques qu'on nous montre, je ne saurai pas affirmer s'ils sont fondés (peut-être @potaille pourra-t-il le faire !) mais le film laisse une empreinte chez le spectateur, qui ne peut se résoudre à douter complètement de ce qu'il s'est passé.
La torture physique et psychologique, la détresse d'une héroïne pas comme les autres, des acteurs bouleversants, font de ce film un chef d'œuvre à voir et à montrer, à découvrir absolument. Toute la tension du procès va crescendo pour atteindre un final flamboyant avec Jeanne sur le bûcher – incroyable de réalisme – et la colère du peuple face à l'outrage qu'on fait à une sainte (puisque c'en est une aujourd'hui), face à leur guide et la rage contre l'Eglise qui, au lieu de la protéger et de la sauver, l'envoie tout droit à la mort. Tout cela est servi par une musique simple mais pas simpliste, servant magnifiquement le récit, soulignant discrètement les émotions, les situations, complémentaire au propos que l'on gardera en mémoire un petit moment après le visionnage.