Dévisage, transfigure.
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En respectant la règle dramatique des trois unités (de temps, de lieu et d'action) puis en optant finalement pour le muet alors que la situation se prête plutôt au verbe, Dreyer n'emprunte guère la voie la plus aisée pour son film. En effet, limité par l'indigence de l'espace, par l'impossibilité ou presque d'une écriture narrative et par la contrainte de la suggestion visuelle à la place du dire, il se retrouve pratiquement dépourvu de tous les ressorts de son art, poussé dans ses retranchements, livré à une austérité matérielle, condamné à une mise en scène ascétique.
Or de telles contraintes deviennent chez Dreyer source de créativité. A un degré moindre que dans Jour de Colère, certes (avec lequel La Passion de Jeanne d'Arc nourrit de nombreuses familiarités), en raison d'une certaine redondance des plans (parfois même réutilisés, à plus d'une reprise), d'un rythme quasi absent, d'un récit trop appauvri et d'une réflexion morale assez simplifiée (Dreyer jugeant de manière manichéiste ceux qui jugent Jeanne D'arc, cette "vierge folle", de cette même manière), Dreyer faisant éprouver au spectateur, comme les juges à Jeanne d'Arc, le martyre avant la rédemption finale. Mais il faut reconnaître le remarquable travail plastique, d'une grande modernité, sur l'image, le cadrage, les expressions grotesques, agressives, pathétiques; l'élaboration d'une philosophie du plan, hautement significatif, traduisant les rapports de force entre les personnages (contre-plongée à travers le regard de Jeanne d'Arc regardant ses bourreaux, plongée des membres du tribunal jugeant l'accusée, travelling avant pour la violence du jury, gros plan pour le grotesque, …); et enfin la réhabilitation morale de Jeanne d'Arc passant de suppôt du diable à lumineuse Pietà, Vierge immaculée, fille de Dieu, du Beau, du Bon et surtout du tragique.
Il est indéniable que Dreyer fait partie des meilleurs metteurs en scène non seulement de son temps, mais aussi de l'histoire du cinéma (comme le témoigne le fait que perdurent ses œuvres malgré le siècle qui nous sépare de certaines d'entre elles), car il a su définir son propre style, une esthétique austère mais riche de sens, une forme révélant un contenu, le tout lié à un questionnement éthique sur le rapport au Mal et au Vrai. Et si La Passion de Jeanne d'Arc accuse certaines limites relatives à la nature du projet, cela n'en retire rien au mérite du cinéaste, dont il faut absolument connaître l’œuvre, s'en inspirer après avoir constaté combien il est possible d'être génial avec des moyens réduits.
6,5/10
Créée
le 18 nov. 2018
Critique lue 155 fois
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