"La pianiste" fait partie de ces films dont on a envie de se laver juste après les avoir vus tellement la crudité et la cruauté de ce qui est vécu par les personnages collent à la peau.

Ce film m'a menée jusqu'à la nausée, une nausée imprégnée de désir de comprendre Erika Kohut, femme écorchée vive pour laquelle j'ai éprouve une vive compassion. Compassion sans pitié, compassion, non pas au sens strict du terme, juste pour le mot "passion". Car c'est de passions profondément humaines et psychotiques dont s'agit ici.
Erika est une femme qui vit,à quarante ans, sous l'emprise d'une mère étouffante, une mère araignée qui tient sa fille dans la toile de son rang social bourgeois auquel elle tient et dont il ne faut surtout pas sortir. Erika n'est pourtant pas Kohut...car Kohut donne des cours de piano, se fait appeler professeur, mais Erika a un besoin viscéral d'assouvir ses désirs les plus profonds en fréquentant les endroits les plus sordides et les plus morbides qui sont l'exact contraire du milieu dans lequel elle évolue.
Ainsi Haeneke n'hésite pas à nous montrer avec un éclairage franc, froid et mécanique des images issues de films pornographiques dont se délecte coupablement Erika qui ensuite, dans un geste expiatoire et qui se veut libérateur, se mutile à l'endroit d'où elle est venue.
Ce film peut faire couler beaucoup d'encre au psychanalyste qui y verra le besoin de se libérer de l'emprise maternelle, l'absence de figure paternelle, la jouissance par le mal, la culpabilité envers du plaisir charnel.
Mais Erika fait la connaissance de Walter Klemmer, jeune premier à mèche joué par Benoît Magimel. Lui semble normal, équilibré, encombré de son désir d'homme (le psychanalyste verrait un complexe d'Oedipe mal fait) pour cette femme musicienne et qui tente de la séduire, de l'avoir. Elle voit dans Walter le moyen de mettre en pratique ses fantasmes et à partir du moment où la tension entre les personnages s'établit le film bascule progressivement dans un échange sado-masochiste servi par la psychose l'une qui contaminera peu à peu le désir de l'autre.
La folie se transmet dans ce film aux tonalités tragiques. Cette tragédie moderne jouée sur fond de Schubert offre une peinture de personnages entiers, perdus, noyés jusqu'au cou dans le sang de leurs passions les plus diverses.
On pourrait accuser le réalisateur d'afficher volontairement des scènes perverses, violentes, crues pour choquer le spectateur sans leur donner de sens réel. Bien que ce film m'ait profondément affectée (le jeu magistral d'Huppert y est pour quelque chose) je ne qualifierais pas de vains et d'inutiles les passages les plus durs et les plus cruels. Je crois qu'Haeneke parvient parfaitement à nous transmettre l'émergence du trouble des émotions chez un personnage guindé dans son milieu. La camisole explose dans un bain de violence et de sang et laisse apparaitre au grand jour ce qui était étouffé et qui ne demandait qu'à être vu et vécu.
Je ne sors pas indemne de ce film et il va me falloir du temps pour m'en détacher et pour laisser retourner Erika et Walter à leur déchirement mutuel sans que leur histoire m'atteigne.

"La pianiste" est un film que l'on aurait pu intituler "la plaie". La plaie qui saigne, qui suppure, qui coule et qui dégouline de crasse, de tristesse, de larmes.
La mère est une plaie
La fille est une plaie qui s'en fait et qui en ouvre
Le jeune premier est celui qui suture maladroitement et qui ouvre à côté la sienne.
Dans tout cela le piano est une bouche béante ouverte et chantant les douleurs et les peines et qui vernit le film d'une fine couche de beauté tragique.
LHerbier-Cleste
7
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le 1 janv. 2015

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